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LASCAUX, LEUR AMOUR DE JEUNESSE

LES INVENTEURS PORTÉS À L'HONNEUR POUR LE 70e ANNIVERSAIRE DE LEUR DÉCOUVERTE

La grotte de Lascaux est connue dans le monde entier grâce à quatre garçons qui furent bien inspirés un certain 12 septembre 1940. La barbarie d'un siècle tourmenté entrainera ensuite chacun sur sa route, plus ou moins parsemée d’embûches. Une génération plus tard, tombé à son tour fou d’amour face à Lascaux, un jeune Montignacois nommé Thierry Félix décide de retracer et la véritable histoire de la découverte et le parcours de chacun d’entre eux.
Pour ce faire il parvient à les réunir en novembre 1986 et mène ainsi ses travaux de recherche au plus près de la source. Résultat, la parution en 1990 de la bande dessinée : « Le secret des bois de Lascaux » écrite en collaboration avec les quatre inventeurs et illustrée par Philippe Bigotto. Plus qu’une B.D., il s’agit d’une véritable enquête qui donne à voir et à comprendre toute cette aventure.
Poursuivant son devoir de mémoire, Thierry Félix décide d’organiser, dans le cadre du 70e anniversaire de la découverte de la grotte, une marche depuis Montignac jusqu’à la colline de Lascaux en compagnie des deux inventeurs survivants : Simon Coencas et Georges Agniel, 84 et 86 ans. À la clef, pour eux, en ce jour exceptionnel, un retour dans la grotte originale, leur inoubliable amour de jeunesse qu’ils retrouvent les yeux toujours aussi pétillants.



DES COULEURS QUI JAILLISSENT DANS LE NOIR

Le 12 septembre 1940 quatre copains, deux du cru et deux jeunes parisiens, décident d'explorer un trou détecté quatre jours plus tôt dans les bois de Lascaux par le plus grand d’entre eux, Marcel Ravidat dit "le bagnard", surnom emprunté au héros du roman de Victor Hugo "Les Misérables" : Jean Valjean. Marcel Ravidat, âgé de 18 ans, vit à Montignac, tout comme Jacques Marsal, âgé de 15 ans. Georges Agniel vit à Paris, sauf l’été où il vient en vacances chez sa grand-mère à Montignac. Quant au plus jeune de l’équipée, Simon Coencas, âgé de 14 ans, d’origine juive il est réfugié en ces temps de guerre tout d’abord à Salignac Eyvigues puis à Montignac où il se trouve alors. Ce trou qui les intrigue au dessus du village fait naître en eux une image bien précise : il s’agit à coup sûr de la sortie du légendaire souterrain reliant le manoir de Lascaux au Château de Montignac, certes en ruines mais qui fut au Moyen Âge le siège de la puissante Châtellenie de Montignac. Motivés, ils creusent une bonne heure, rampent à plat ventre le long d'un couloir d'éboulis très étroit et déboulent enfin dans une belle cavité. Ils ont pour toute lumière une pompe à graisse truffée de pétrole et d’une mèche bricolée par Marcel dans le garage où il travaille ainsi qu’une lampe pigeon. Elles brûlent les doigts plus qu’elles n’éclairent. Si bien qu’ils traversent une première fois la Salle des Taureaux sans rien voir. Plus loin, tandis qu’ils s’engagent dans le diverticule axial, les parois se resserrent et le plafond s’éclaire. Â la moindre lueur, le noir se transforme en couleurs savamment disposées. Les cerfs, des chevaux et un énorme taureau rouge à tête noire épousent la paroi courbe au dessus de leurs têtes. C’est donc certain, ce boyau quasi organique dans les antres de la Terre a déjà été visité. Tous comprennent qu'ils sont en train de vivre un instant rare, presque trop beau pour être vrai. Ils se promettent de ne rien dire et parviendront à garder ce trésor pour eux pendant trois jours. Avec tout de même un aventurier de plus : Maurice, le jeune frère de Simon, mis dans la confidence le soir même.

LE TEMPS DU BONHEUR DANS LEUR CAVERNE

Munis de leurs casse-croûtes, trois jours durant, les cinq adolescents vont explorer de fond en comble "leur" caverne. La salle des taureaux, le diverticule axial, le passage, l’abside, la nef, le diverticule des félins et le puits, comme seront plus tard baptisés les différents secteurs ornés de cette cavité, c’est-à-dire chaque recoin. Ils savourent la joie suprême de se savoir les premiers à pénétrer ce mystère. Depuis combien de temps de tels chefs-d'œuvre dorment-ils dans ce coffre-fort de calcaire ?

LE TEMPS DES ADULTES ET LE TEMPS DES ADIEUX

Ils finiront par consulter l’ancien instituteur du village Léon Laval, passionné d’archéologie. Sceptique, il envoie en éclaireur Georges Estréguil, habile dessinateur, œuvrer. Les premiers relevés seront ainsi signés de sa main. Intervient alors un nouveau personnage dont le moins que l’on puisse dire est qu’il fut au bon moment au bon endroit. Maurice Thaon a deux atouts dans son jeu : il a fait les Beaux Arts et sa famille fréquente l’abbé Breuil. En prime, il vient de rejoindre son frère en cantonnement à Montignac. L’abbé Breuil séjourne alors à Brive chez les abbés Jean et Amédée Bouyssonnie, eux aussi férus de préhistoire. Maurice Thaon demande à l’abbé Breuil de lui enseigner ses techniques de relevés d’art pariétal. L’abbé Breuil lui achète les fournitures nécessaires, l’emmène visiter les Combarelles, Font de Gaume et La Mouthe, trois grottes ornées de la région des Eyzies. Et le tout se passe alors que la nouvelle de la découverte de Lascaux commence à faire grand bruit. L’abbé Breuil à cette époque connaît une altération de son acuité visuelle et a déjà prévu de rejoindre l’Afrique Australe pour continuer d’étudier des fresques en plein air et pour ne pas subir la seconde guerre mondiale. Il visite la grotte de Lascaux le 22 septembre 1940 et certifie l’origine préhistoriques des œuvres qu’elles contient. Sur ce, il délègue la mission d’effectuer les relevés à Maurice Thaon. Un début de carrière inespéré. Ses relevés font la Une des journaux et le tour du monde, au tout début en noir et blanc. Pour les jeunes inventeurs, l'intimité des premiers jours, c’est du passé. Le temps de l'insouciance aussi. L'histoire du dehors reprend ses droits. L'insoutenable pesanteur du 20e siècle s’abat sur eux.

LA BARBARIE DES TEMPS MODERNES

Les deux parisiens Simon Coencas, et Georges Agniel, devront rapidement regagner Paris, tandis que Marcel Ravidat et Jacques Marsal, s'efforceront de protéger la grotte de leur mieux en installant leur campement sur place et en accompagnant les premières visites des gens du pays. Puis pour chacun le vent tourne, follement.
« Au début de l'année 1941, la grotte étant protégée par la pose d'une première porte, Jacques et Marcel redescendent au village. On tente alors d'ouvrir la grotte au public sans grand succès compte tenu des circonstances de l'Occupation d'une partie de la France qui, de plus en plus, compliquent la vie de tous les jours.
En juillet 1942, Marcel part en chantier de jeunesse dans les Pyrénées avant de rallier, un an plus tard, le rang des premiers résistants périgourdins.
Puis c'est au tour de Jacques d'être éloigné du Périgord, contre sa volonté, raflé par la police française sur le pont de Montignac et envoyé en camp de travail dans un pays annexé par le Reich.
Simon, après la tragique disparition de ses parents, déportés dans les camps de la mort, est sauvé par la Croix Rouge Française du camp de Drancy. Réfugié dans sa famille ou chez des amis, il survit en faisant des petits boulots jusqu'à la Libération.
Quant à Georges, isolé par la ligne de démarcation, il ne peut revenir comme chaque été chez sa grand-mère.
Ainsi, le quatuor, séparé par les circonstances, ne se reconstituera au complet que bien des années plus tard... »

Quatre vies retracées avec minutie par celui-là même qui signe ces quelques lignes et qui parviendra à rassembler le quatuor en novembre 1986, puis chaque année pour la date anniversaire du 12 septembre : Thierry Félix, amoureux fou de Lascaux, après que Jacques Marsal lui ai transmis le flambeau.

LA CROISADE DE THIERRY FÉLIX CONTRE L’OUBLI

Enfant, Thierry Félix a pour héros l'équipe des quatre inventeurs de Lascaux. Il faut dire qu’il est né à Montignac en 1964, soit un an après que Lascaux ait été fermée au public sur décision du Ministre des Affaires Culturelles, André Malraux, en raison d'une prolifération d'algues résultant de visites trop intensives. Tout jeune adolescent, il aura l’immense privilège de descendre dans la grotte originale avec Jacques Marsal pour guide, alors que les visites sont à ce moment-là extrêmement restreintes : cinq visiteurs par jours, cinq jours par semaine. Après quoi en 1983, la grotte sera totalement fermée. Il mesure sa chance et mémorise chaque image et chaque mot prononcé par Jacques lors de ce voyage sous terre, 18 000 ans en arrière.
Devenu guide à Lascaux II, fac-similé de la grotte ouvert au public en 1983, il étudie la préhistoire et prépare une thèse d’université sur l’art de Lascaux*. Ayant vérifié chaque information auprès des inventeurs eux-mêmes, il publie en 1990 une bande dessinée qui retrace la véritable histoire de la découverte de Lascaux :
« Le secret des bois de Lascaux » texte et scénario : Thierry Félix, dessin : Philippe Bigotto, auteurs associés : Marcel Ravidat, Georges Agniel et Simon Coencas. Jacques Marsal n’a pu s’y joindre, il s’est éteint en 1989.

LA COULEUR JAILLIT DU NOIR ET BLANC 50 ANS PLUS TARD

Parmi les dessins en noir et blanc surgissent en pleines couleurs les fresques de Lascaux. L’effet est saisissant. L'ouvrage préfacé par Yves Coppens est en prime étoffé de documents d'archives rares, et notamment le récit de la découverte de la main même de Marcel Ravidat, le meneur de l’expédition du 12 septembre 1940. Félix et Bigotto démarrent ainsi l’aventure de la maison d'édition « Dolmen » et mettent un point d'honneur à ce que les bénéfices de la vente de ce recueil, véritable documentaire sur papier glacé, soient partagés avec les inventeurs.
Cette sortie coïncide avec la célébration du 50e anniversaire de la découverte de Lascaux. Thierry Félix tient à ce que les inventeurs soient les héros de la fête. Le Président François Mitterrand, qui viendra visiter l’authentique grotte de Lascaux, prendra certes le temps de féliciter les trois inventeurs survivants. Toutefois, Thierry Félix estime qu’on pourrait aller encore plus loin et poursuit sa croisade.

UN 70e ANNIVERSAIRE, VITE ! AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD.

Alors patiemment, il imagine une autre manière de leur rendre hommage. Un rocher déposé près de la grotte et gravé de leurs noms, des plaques commémoratives aux couleurs de Lascaux pour chacune de leurs maisons, une exposition pour retracer leurs parcours et une marche depuis Montignac jusqu'à la colline derrière Simon Coencas, 83 ans, et Georges Agniel, 86 ans, en mémoire de Jacques Marsal et Marcel Ravidat qui lui disparaît en 1995.
Dans le même temps, la venue de Nicolas et Carla Sarkozy pour le 70e anniversaire de la découverte de Lascaux se précise. Le couple présidentiel arrive à Montignac le dimanche matin et commence par visiter longuement la grotte originale en présence de la conservatrice Muriel Mauriac, du Professeur Yves Coppens et du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand. Le président de la république et son épouse en ressortent bouleversés et éblouis. Vient ensuite le temps du bain de foule à Montignac avant d’entrer dans la mairie pour y dévoiler une plaque commémorative de leur passage et saluer les deux inventeurs présents. La visite présidentielle se poursuit aux Eyzies, tout d’abord au Musée National de la Préhistoire, où une rencontre avec un comité de paléontologues et de préhistoriens est prévue. Elle s’achève par un discours en faveur de la protection et de la valorisation du patrimoine, prononcé dans l’auditorium du tout nouveau Centre d'Accueil du Pôle International de la Préhistoire, inauguré le 24 juillet 2010 aux Eyzies. Alors que l’hélicoptère du Président de la République repart pour Brive, à Montignac, les festivités reprennent de plus belle. L’heure de la marche en l’honneur des inventeurs a sonné.

LASCAUX TOUJOURS AUSSI BELLE

Les médias et la foule sont bien au rendez-vous, et les inventeurs aux anges. À l'issue du parcours refait tous ensemble en présence de Bernard Cazeau, sénateur et président du Conseil Général de la Dordogne, Georges et Simon sont admis dans la grotte originale, désormais réservée aux scientifiques. Et, comble du bonheur, ils la retrouvent aussi belle, parée de couleurs toujours aussi vives que le premier jour. Oubliées la maladie verte des algues et des bactéries et la maladie blanche liée au dépôt accéléré de calcite, apparues toutes deux vers 1955. Quant aux tâches noires survenues en 2001, elles sont en nette régression. De l'avis même de nouveau conseil scientifique présidé par le professeur Yves Coppens depuis le 21 janvier 2010, Lascaux va bien :
« Les peintures ne sont absolument pas endommagées, mais bien sûr il faut rester vigilant et percer à jour le mystère de l'apparition et de la disparition de ces ombres. »

Bref, au calme, dans leur grotte, les deux hommes ont pu retrouver l’émerveillement de leur découverte 70 ans plus tôt. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, deux jours après, mardi 14 septembre au soir, le Pôle International de la Préhistoire les accueillait pour une projection en avant-première d'extraits de l'entretien qu'ils ont accordés en juin dernier à Thierry Félix et Serge Maury, archéologue, sous les fresques de Lascaux reconstituées au musée du Thot à Thonac.
Un entretien empli de finesse et d’humour où ils racontent leur Lascaux intime. Ce film co-produit par le Pôle International de la Préhistoire, le Centre National de la Préhistoire, la DRAC Aquitaine et le Service Départemental de l'Archéologie, fait partie de la collection « Les grands témoins de la Préhistoire ». Une série d'entretiens diffusés sur le site du Pôle International de la Préhistoire : www.pole-prehistoire.com
Autant de témoignages de ces instants d'exception qui vous portent pour la vie.

Sophie Cattoire



* Thiery Félix, par profession et par passion, travaille toujours sur la grotte de Lascaux. Conseiller pédagogique spécialisé dans l’entrée dans le monde de l’écrit, il met à profit sa double culture, de pédagogue et de préhistorien, pour travailler sur le corpus de signes de Lascaux.

Voir aussi les photos et l'étude de Norbert Aujoulat sur la grotte de Lascaux :
L’éternelle saison des amours à la grotte de lascaux
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