Faut-il être mort pour être reconnu ?
Faut-il être à l’état de squelette, très ancien et très bien conservé, ce qui demande
beaucoup d’efforts, pour passionner la Science et l’Humanité ?
La mémoire est incroyablement fugace. Mais, courageux, nous continuons à creuser
pour ajouter des pièces au puzzle et comprendre qui l’on est. On appelle ça de l’archéologie.
Un terme qui associe le sérieux et l’aventure, l’exigence du savoir et le plaisir
de crapahuter.
Gaëlle Chancerel est archéologue, justement. Elle peut très sérieusement suivre
une pelle mécanique pas à pas (chenille à chenille ?) pendant des mois sur
l’emplacement d’une future bretelle d’autoroute, pour essayer de repérer, inventorier
et interpréter un maximum de vestiges avant l’enrobé.
Elle est aussi capable de se demander si ce qui la fait vibrer maintenant, vivant
et créant à ses côtés, ne vaut pas la peine d’être décortiqué là, à chaud, autopsié
vivant en quelque sorte, avant l’ultime cyclone, l’oubli et la postérité, bien plus
tard, quand on redécouvrira l’artiste passé dans l'au-delà depuis longtemps déjà.
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SUR LA PLAGE ABANDONNÉE
Un matin, sur une plage de Guadeloupe, Gaëlle Chancerel a ainsi entrepris de fouiller
méthodiquement l’atelier de Juan Frutos, artiste mexicain, devenu son ami par les
hasards de la proximité des logis et des sensibilités. Voisin, ami et largement
empêtré dans douze années d’accumulation frénétique de ces petits riens qui nourrissent
son œuvre, il a accepté. L’archéologue a délimité une aire de 2 m² sur une hauteur
de 1m30. Cet échantillon stratigraphique qui a livré 6000 vestiges, elle l’a découpé
en trois périodes : le Frutos ancien, le Frutos mexicain et le Frutos évolué. Elle
a parfois regardé la Mer des Caraïbes, qui fouillait la plage d’à côté, histoire
de souffler un peu.
AIMONS-NOUS VIVANTS
Elle a aussi beaucoup écouté l’artiste et a dégagé du flot des paroles un chemin,
du Mexique aux Antilles, en passant par la France, dans les années 70.
Des ondes, des vagues et des flots, elle a fait un livre décrivant un artiste et
son univers, tel qu’elle le comprend et qu’elle le ressent, ici et maintenant.
L’ouvrage est franchement somptueux, l’impression et le rendu des couleurs époustouflants,
les textes ciselés réussissant le prodige d’une grand clarté pour saisir un kaléidoscope
fulgurant. On rencontre l’artiste, on découvre son œuvre et on se délecte du compte-rendu
des fouilles, délicat, plein d’humour et déjà éminemment précieux. L’atelier de
Juan Frutos, après douze ans de vie intense, a été balayé par l’ouragan en 2005,
juste après les fouilles. Il n’en reste plus rien.
Habituellement, c’est à partir de ce moment-là qu’on commence à fouiller, quand
il est trop tard et qu’une foule d’informations se sont déjà volatilisées. A commencer
par la vie, vous savez, cette chose complexe qu’ont connue aussi les squelettes
et qu’ils ont tant de mal à nous raconter.
Sophie Cattoire
L'exposition "Los cuatro caminos"
de Juan Frutos
se poursuit jusqu'au 25 avril 2008
au Centre culturel de la Vistation de Périgueux.
Juan Frutos vit et travaille dorénavant en France, près de Cahors, où vous pouvez
le contacter : JUAN FRUTOS, rue des mariniers, 46140 DOUELLE
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