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L’HISTOIRE DE LA FÉLIBRÉE QUI FRANCHIT LE PONT RELIANT PÉRIGORD ET GUYENNE

Une chaleur de plomb, un décor de rêve, un souffle de fraternité sur la ville, le pont et sur l’autre rive ! L’air de rien, drapée d’un somptueux voilage de fleurs suspendues dans les airs – comme autant d’oiseaux migrateurs venus admirer la scène, le sourire aux lèvres – la Félibrée 2006 restera historique. Une Félibrée compte double, plantée là, bravement, à cheval sur le fleuve, un pied en Dordogne et l’autre en Gironde… Du jamais vu, en 87 ans ! Mais une position parfaitement fidèle, au fond, à sa raison d’être car la Félibrée est princesse occitane et l’Occitanie ne se cantonne certes pas à un seul département. Elle s’étend de l’Océan Atlantique aux Alpes, en passant par le Piémont italien et le Val d’Aran espagnol. L’Occitanie, c’est le grand idéal d’humanisme et d’amour porté par les Troubadours il y a mille ans, c’est l’ouverture et le partage, bien au-delà des frontières et des découpages.


LA LANGUE D’OC : UN COCKTAIL DE ROME AVEC UN ZESTE DE BARBARE


Elle vient du sud, et par tous les moyens, elle y revient.

La langue d’Oc ne veut pas mourir. Le français l’a chassée de notre territoire mais elle aurait très bien pu rester langue officielle si les vents politiques avaient soufflé différemment. Ce sont les luttes de pouvoir qui l’ont disqualifiée, en aucun cas son manque de richesse ou d’expressivité. C’est une langue romane, issu du latin, pas un patois.

Voici en résumé ce qui s’est passé :

En 122 avant J.C., les Romains s'installent en Provence et fondent Aix-en-Provence.
En 58 avant J.C., Jules César entreprend la conquête de la Gaule.
En 52 avant J.C., Vercingétorix capitule à Alésia.
La Gaule est divisée en quatre provinces : la Narbonnaise, l’Aquitaine, la Celtique ou Lyonnaise et la Belgique.

Progressivement le latin, langue du commerce et de l'administration, supplante les dialectes gaulois – celte, ibère, ligure – et le druidisme disparaît. Le christianisme pénètre dans les campagnes.

Un latin qui se transforme, naturellement, au contact des langues gauloises d’avant. Un latin qui absorbe aussi les langues des Barbares qui, depuis le troisième siècle, frappent plus ou moins bruyamment à la porte de l’Empire – Goths, Vandales, Burgondes, Suèves, Huns, Alains, Francs – pour finalement le renverser.

En 476 le roi  Odoacre, d'origine germanique, dépose le dernier empereur de Rome, Romulus Augustule. Pour autant, en 500 après J.C., tous les Gaulois sont romains et l'influence romaine se fera sentir jusqu'au Xeme siècle, en particulier dans le Droit et l'Eglise.

C’est donc sur les bases linguistiques d’un latin très longtemps et très largement métissé que se développent, après la chute de l’Empire, les différentes langues romanes  que sont le portugais, l’espagnol, l’occitan, le français, l’italien, le roumain, le catalan, le galicien et le romanche.

NAISSANCE DES LANGUES D’OÏL ET DES LANGUES D’OC
SEPARÉES PAR LE CORDON SANITAIRE DE LA LOIRE

La chute de l’Empire Romain laisse les Barbares s’organiser entre eux. Ce qui prendra du temps.

Après avoir vaincu les Alamans, les Burgondes et les Wisigoths, Clovis, roi mérovingien, réussit à conquérir la Gaule et à y fonder le Royaume des Francs, prémisse lointain de la France moderne.

L’influence linguistique des Francs se limitant à la zone qu’ils occupent au début – le Nord de la Loire – les dialectes du Nord s’écartent plus vite et davantage du latin que ceux de la Gaule Méridionale.

Par exemple, on dira dans le Nord « je chante » alors qu’on continuera de dire « canti » dans le Midi.

L’unité de la France telle que nous la connaissons aujourd’hui, fondée entre autre sur l’interdiction des langues régionales, ne s’est pas faite en un jour.

Dans une Gaule à géométrie variable, les divisions sont incessantes et le gros du pouvoir se concentre longtemps autour de Paris, laissant, au Sud, plus de latitude aux aristocrates, seuls véritables maîtres de leurs provinces.

L’Occitan, au Sud, poursuivit donc, quelques siècles encore, son chemin.

Au moment de son apogée, au Moyen Âge, il sera le vecteur d’une culture visionnaire et humaniste, sorte de révolution « Love and Peace » avant l’heure.

Au XIIe siècle, l’Occitan devient la langue des Troubadours, puisque c’est en Occitanie que ces poètes font la tournée des châteaux avec leur poèmes emplis d’amour, certes, mais riches aussi d’une approche du monde qui se démarque résolument de la rudesse, voire de la sauvagerie, de l’époque.

CHANSON DE GESTE OU GESTE D’AMOUR ?

Langue d’Oc et langue d’Oïl ne véhiculent pas les mêmes imaginaires.

Tandis qu’au Nord la chanson de Roland, virile au sens guerrier, explique comment trancher d’un seul coup de sabre cheval et cavalier, au Sud, les Troubadours entendent manier tout à la fois la vielle et l'épée. Ils se consacrent quand il le faut au combat mais plus volontiers encore à l’amour. L'amour idéalisé de leur Dame, fût-elle mariée et inaccessible. 

Ils se nomment Guillaume de Poitiers, Arnaut Daniel – que Dante appelle « le Prince des poètes » – Bertrand de Born, Elias Cayreb, Rimbaud de Vacqueyras, la Comtesse de Die ou Bernard de Vendatour et chantent de toute leur âme :

« Que vaut la vie sans amour ?
Ne sert qu’à ennuyer les gens. »

L’OCCITAN, LANGUE D’AMOUR ET DE LIBERTÉ, DÉRANGE

Le grand drame de l’Occitan débute avec la Croisade contre les Albigeois au XIIIe siècle.

Indignés par les fastes de l’Eglise, qui pompe toutes les richesses et laisse le monde paysan affamé, les Cathares veulent se démarquer. Ils ne refusent pas la religion mais prêchent un retour à la pureté originelle du christianisme. Ils mènent une vie austère et chaste. Leur mouvement trouve un terrain particulièrement favorable dans le Languedoc, le Comté de Toulouse et le Vicomté de Béziers, entre autre. 

Se sentant menacée, l’Eglise, menée par le Pape Innocent III, décrète la terrible Croisade contre les Albigeois (1209/1244). Une période d’horreur et de barbarie extrême en terre occitane. Ses bûchers contre l’hérésie permettent au passage la conquête de régions du Sud restées jusqu’alors hors du Royaume de France, à savoir  le Béarn et le Périgord. La Provence , elle, ne sera annexée qu'en 1483 et la Catalogne sous Louis XIV.

« Après la croisade des Albigeois – nous explique Pierre Miremont et Jean Monestier dans leur ouvrage « le Félibrige et la langue d’Oc » – la langue subit le sort de son peuple opprimé, les cours seigneuriales du Midi perdent de leur éclat et la poésie des Troubadours décroît. (…) Cependant elle subsistera très vivante au royaume d’Aragon dont les princes devenus rois de Sicile l’importent à Naples et en Sicile. Après Jacme II, ses rois se font chroniqueurs et toutes leurs ordonnances sont en langue d’Oc, en cette langue également les instructions et les lettres qu’ils adressent à leurs ambassadeurs et dont regorge la bibliothèque vaticane. »

Le parler d’Oc trouvera son dernier refuge en terre catalane, en tant qu’idiome d’Etat.

LES TROIS COUPS FUNESTES PORTÉS CONTRE LA LANGUE D'OC

Le premier coup sera porté en 1539 par l’Edit de Villers-Cotterêts qui impose exclusivement le français dans les actes publics et judiciaires. Du coup, l’Occitan se trouve chassé des écoles, des universités, des églises, des tribunaux, de l’armée et des salons où aristocrates et bourgeois en viennent à rougir de leurs dialectes provinciaux pour adopter au plus vite la langue de la Cour : le français. Le deuxième coup  interviendra à la Révolution, suite au rapport de l'abbé Grégoire interdisant les "patois". L'école obligatoire en français au XXeme siècle portera le coup de grâce à l'Occitan.

Les derniers gardiens de la langue d’Oc seront  les paysans qui en conservent la savoureuse et ingénue politesse – son élégance naturelle – mais ne peuvent empêcher son appauvrissement en termes intellectuels, religieux, juridiques ou militaires.

LE GRAND RÉVEIL DU FÉLIBRIGE

Le grand sursaut surviendra en 1854 à l’initiative d’un cercle de poètes apparus en Provence, au Sud Est de l’Occitanie. Ils comprennent qu’une langue encore parlée mais plus du tout écrite se meurt inéluctablement.

Le Capoulier Jaque Mouttet, actuel responsable national du Félibrige Ils se désignent comme « Felibres » mot occitan ancien qui signifie « docteur de la loi » - notons que selon des recherches  plus récentes ce mot signifierait "nourrisson" en latin du haut moyen âge - auquel il donne pour ce renouveau le sens de défenseurs et écrivains de la langue Occitane. Ils créent le Félibrige, mouvement ayant pour vocation de rendre à la langue d’Oc ses lettres. L’un d’entre eux, Frédéric Mistral, poète provençal, décide de se consacrer à l’écriture d’un dictionnaire Provençal-Français « Lou Tresor dóu Felibrige / Les Trésors du Félibrige », prodigieux travail d’investigation pour répertorier, écrire et traduire, qui lui demande vingt ans de travail et reste, avec ses 80 000 entrées, une référence inégalée.
Il obtiendra  pour l’ensemble de son œuvre, et notamment  son fameux poème « Mirelha » (Mireille),  et son colossal travail de lexicographe, le prix Nobel de Littérature en 1904.

Depuis plus de 150 ans, dans leur sillage, des écoles félibréennes - associations locales du Félibrige - sont apparues dans toute l’Occitanie qui couvre géographiquement trente deux départements français, treize vallées piémontaises italiennes et le Val d’Aran espagnol.

C’est ainsi qu’est né en 1901 l’école du Bournat, pour la défense et l’illustration de la langue d’Oc en Périgord, « bornat » signifiant la ruche en occitan. Elle est dirigée depuis 105 ans par un Majoral élu à vie, parmi lesquels le buguois Jean Monestier restera l’une des grandes figures.

Elle édite une revue culturelle tous les trois mois : « Lo Bornat » et organise donc tous les ans depuis 1903 une grande fête populaire où l’on parle et chante occitan, en costumes folkloriques ou non, dans une ville métamorphosée par la joliesse d’un ciel décoré de milliers de fleurs faites à la main par un comité de bénévoles qui s’y attèlent douze mois en amont. Un moment d’échange et d’amitié, la ruse du Bornat en vérité – de la ruche donc – pour déclencher échange et partage entre voisins qui bien souvent se méconnaissent.

Tout ce travail se terminant en apothéose le jour de la fameuse Félibrée, comme ce fut le cas le 2 juillet 2006 à Port-Sainte-Foy en Dordogne, sur le pont Michel Montaigne et sur l’autre rive, dans la ville Bastide de Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde.

La Félibrée, au-delà de sa poésie et de sa beauté, de la contagieuse bonne humeur de tous ceux qui l’organisent et y participent, est donc bien autre chose qu’une simple fête folklorique.

Elle est l’élan de résurgence d’une langue toujours vivante, la langue d’Oc, dont il nous semblait important de retracer l’histoire ici.

cherchez les troubadours...

Sophie Cattoire

Nous remercions le Majoral Michel Samouillan, président du Bornat, l’école félibréenne du Périgord, ainsi que le Capoulier Jaque Mouttet, venu d’Aix-en-Provence à l’occasion de cette 87ème Félibrée, pour la gentillesse de leur accueil et leur faculté à partager la passion pour la langue d’Oc qui les anime.

Nous remercions le Majoral Jean-Marc Courbet, secrétaire général (lou Baile) du siège du Félibrige à Aix-en-Provence et responsable du Centre de Documentation Provençal à Bollène en Vaucluse pour les précisions historiques qu'il nous a transmises. 

Nous remercions également Lionel Pénicaud, auteur des photographies de la Félibrée du 2 juillet 2006 publiées ici. Une félibrée qui s’est déroulée exceptionnellement à la fois sur Port-Sainte-Foy en Dordogne et sur Sainte-Foy-la-Grande en Gironde.

Ndlr. C’est coquin d’enjamber un fleuve… Cela rappelle le roman des romans : « Tristan et Iseult » chef d’œuvre du Moyen Âge que nous lisions sur les bancs du collège. Souvenez-vous du passage du gué et de l’eau hardie qui se glisse sous les jupes d’Iseult au moment où son cheval se cabre.

Eléments bibliographiques concernant l’histoire de la langue d’Oc et de l’Occitanie :

Le Félibrige et la langue d’Oc,  Pierre Miremont et Jean Monestier, Bibliothèque du Bournat du Périgord, 1985.
Histoire d'Occitanie, Institut d'Etudes Occitanes, Paris, Hachette, 1979.
La littérature d'Oc, Jean Rouquette, Paris, PUF, Que sais-je?, 1980.
La langue d'oc pour étendard, Simon Calamel & Dominique Javel, Toulouse, Privat, 2002.
Histoire du Félibrige, (4 volumes), René Jouveau, autoédité, imp. Bene, Cavaillon, 1970 à 1987.
Histoire du Bornat, naissance et envol : 1901-1914, Jean-Claude Dugros, Lo Bornat dau Perigòrd, 2001
Cathares et Vaudois en Périgord, Quercy et Agenais, Richard Bordes, L'Hydre éditions, 2005

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