LA LANGUE D’OC : UN COCKTAIL DE ROME AVEC UN ZESTE DE BARBARE
Elle vient du sud, et par tous les moyens, elle y revient.
La langue d’Oc ne veut pas mourir. Le français l’a chassée de notre territoire mais
elle aurait très bien pu rester langue officielle si les vents politiques avaient
soufflé différemment. Ce sont les luttes de pouvoir qui l’ont disqualifiée, en aucun
cas son manque de richesse ou d’expressivité. C’est une langue romane, issu du latin,
pas un patois.
Voici en résumé ce qui s’est passé :
En 122 avant J.C., les Romains s'installent en Provence et fondent Aix-en-Provence.
En 58 avant J.C., Jules César entreprend la conquête de la Gaule.
En 52 avant J.C., Vercingétorix capitule à Alésia.
La Gaule est divisée en quatre provinces : la Narbonnaise, l’Aquitaine, la Celtique
ou Lyonnaise et la Belgique.
Progressivement le latin, langue du commerce et de l'administration, supplante les dialectes gaulois – celte, ibère, ligure – et le druidisme
disparaît. Le christianisme pénètre dans les campagnes.
Un latin qui se transforme, naturellement, au contact des langues gauloises d’avant.
Un latin qui absorbe aussi les langues des Barbares qui, depuis le troisième siècle,
frappent plus
ou moins bruyamment à la porte de l’Empire – Goths, Vandales, Burgondes, Suèves,
Huns, Alains, Francs – pour finalement le renverser.
En 476 le roi Odoacre, d'origine germanique, dépose le dernier empereur de Rome, Romulus Augustule. Pour autant, en 500 après J.C., tous les Gaulois sont
romains et l'influence romaine se fera sentir jusqu'au Xeme siècle, en particulier
dans le Droit et l'Eglise.
C’est donc sur les bases linguistiques d’un latin très longtemps et très largement métissé que se développent, après la chute de l’Empire, les différentes langues romanes que sont le portugais, l’espagnol, l’occitan, le français, l’italien,
le roumain, le catalan, le galicien et le romanche.
NAISSANCE DES LANGUES D’OÏL ET DES LANGUES D’OC
SEPARÉES PAR LE CORDON SANITAIRE DE LA LOIRE
La chute de l’Empire Romain laisse les Barbares s’organiser entre eux. Ce qui prendra
du temps.
Après avoir vaincu les Alamans, les Burgondes et les Wisigoths, Clovis, roi mérovingien,
réussit à conquérir la Gaule et à y fonder le Royaume des Francs, prémisse lointain
de la France moderne.
L’influence linguistique des Francs se limitant à la zone qu’ils occupent au début
– le Nord de la Loire – les dialectes du Nord s’écartent plus vite et davantage
du latin que ceux de la Gaule Méridionale.
Par exemple, on dira dans le Nord « je chante » alors qu’on continuera de dire «
canti » dans le Midi.
L’unité de la France telle que nous la connaissons aujourd’hui, fondée entre autre
sur l’interdiction des langues régionales, ne s’est pas faite en un jour.
Dans une Gaule à géométrie variable, les divisions sont incessantes et le gros du
pouvoir se concentre longtemps autour de Paris, laissant, au Sud, plus de latitude
aux aristocrates, seuls véritables maîtres de leurs provinces.
L’Occitan, au Sud, poursuivit donc, quelques siècles encore, son chemin.
Au moment de son apogée, au Moyen Âge, il sera le vecteur d’une culture visionnaire
et humaniste, sorte de révolution « Love and Peace » avant l’heure.
Au XIIe siècle, l’Occitan devient la langue des Troubadours, puisque c’est en Occitanie
que ces poètes font la tournée des châteaux avec leur poèmes emplis d’amour, certes,
mais riches aussi d’une approche du monde qui se démarque résolument de la rudesse,
voire de la sauvagerie, de l’époque.
CHANSON DE GESTE OU GESTE D’AMOUR ?
Langue d’Oc et langue d’Oïl ne véhiculent pas les mêmes imaginaires.
Tandis qu’au Nord la chanson de Roland, virile au sens guerrier, explique comment
trancher d’un seul coup de sabre cheval et cavalier, au Sud, les Troubadours entendent
manier tout à la fois la vielle et l'épée. Ils se consacrent quand il le faut au
combat mais plus volontiers encore à l’amour. L'amour idéalisé de leur Dame, fût-elle
mariée et inaccessible.
Ils se nomment Guillaume de Poitiers, Arnaut Daniel – que Dante appelle « le Prince
des poètes » – Bertrand de Born, Elias Cayreb, Rimbaud de Vacqueyras, la Comtesse
de Die ou Bernard de Vendatour et chantent
de toute leur âme :
« Que vaut la vie sans amour ?
Ne sert qu’à ennuyer les gens. »
L’OCCITAN, LANGUE D’AMOUR ET DE LIBERTÉ, DÉRANGE
Le grand drame de l’Occitan débute avec la Croisade contre les Albigeois au XIIIe
siècle.
Indignés par les fastes de l’Eglise, qui pompe toutes les richesses et laisse le
monde paysan affamé, les Cathares veulent se démarquer. Ils ne refusent pas la religion
mais prêchent un retour à la pureté originelle du christianisme. Ils mènent une
vie austère et chaste. Leur mouvement trouve un terrain particulièrement favorable
dans le Languedoc, le Comté de Toulouse et le Vicomté de Béziers, entre autre.
Se sentant menacée, l’Eglise, menée par le Pape Innocent III, décrète la terrible
Croisade contre les Albigeois (1209/1244). Une période d’horreur et de barbarie
extrême en terre occitane. Ses bûchers contre l’hérésie permettent au passage la
conquête de régions du Sud restées jusqu’alors hors du Royaume de France, à savoir
le Béarn et le Périgord. La Provence , elle, ne sera annexée qu'en 1483 et la Catalogne
sous Louis XIV.
« Après la croisade des Albigeois – nous explique Pierre Miremont et Jean Monestier
dans leur ouvrage « le Félibrige et la langue d’Oc » – la langue subit le sort de
son peuple opprimé, les cours seigneuriales du Midi perdent de leur éclat et la
poésie des Troubadours décroît. (…) Cependant elle subsistera très vivante au royaume
d’Aragon dont les princes devenus rois de Sicile l’importent à Naples et en Sicile.
Après Jacme II, ses rois se font chroniqueurs et toutes leurs ordonnances sont en
langue d’Oc, en cette langue également les instructions et les lettres qu’ils adressent
à leurs ambassadeurs et dont regorge la bibliothèque vaticane. »
Le parler d’Oc trouvera son dernier refuge en terre catalane, en tant qu’idiome
d’Etat.
LES TROIS COUPS FUNESTES PORTÉS CONTRE LA LANGUE D'OC
Le premier coup sera porté en 1539 par l’Edit de Villers-Cotterêts qui impose exclusivement
le français dans les actes publics et judiciaires. Du coup, l’Occitan se trouve
chassé des écoles, des universités, des églises, des tribunaux, de l’armée et des
salons où aristocrates et bourgeois en viennent à rougir de leurs dialectes provinciaux
pour adopter au plus vite la langue de la Cour : le français. Le deuxième coup
interviendra à la Révolution, suite au rapport de l'abbé Grégoire interdisant les
"patois". L'école obligatoire en français au XXeme
siècle portera le coup de grâce
à l'Occitan.
Les derniers gardiens de la langue d’Oc seront les paysans qui en conservent
la savoureuse et ingénue politesse – son élégance naturelle – mais ne peuvent empêcher
son appauvrissement en termes intellectuels, religieux, juridiques ou militaires.
LE GRAND RÉVEIL DU FÉLIBRIGE
Le grand sursaut surviendra en 1854 à l’initiative d’un cercle de poètes apparus
en Provence, au Sud Est de l’Occitanie. Ils comprennent qu’une langue encore parlée
mais plus du tout écrite se meurt inéluctablement.
Ils se désignent comme « Felibres » mot occitan ancien qui signifie « docteur de
la loi » - notons que selon des recherches plus récentes ce mot signifierait
"nourrisson" en latin du haut moyen âge - auquel il donne pour ce renouveau le sens de défenseurs et écrivains de
la langue Occitane. Ils créent le Félibrige, mouvement ayant pour vocation
de rendre à la langue d’Oc ses lettres. L’un d’entre eux, Frédéric Mistral, poète
provençal, décide de se consacrer à l’écriture d’un dictionnaire
Provençal-Français « Lou Tresor dóu Felibrige / Les Trésors du Félibrige », prodigieux travail d’investigation
pour répertorier, écrire et traduire, qui lui demande vingt ans de travail et reste, avec ses 80 000 entrées,
une référence inégalée.
Il obtiendra pour l’ensemble de son œuvre, et notamment son fameux poème
« Mirelha » (Mireille), et son colossal travail de lexicographe,
le prix Nobel de Littérature en 1904.
Depuis plus de 150 ans, dans leur sillage, des écoles félibréennes - associations
locales du Félibrige - sont apparues
dans toute l’Occitanie qui couvre géographiquement trente deux départements français,
treize vallées piémontaises italiennes et le Val d’Aran espagnol.
C’est ainsi qu’est né en 1901 l’école du Bournat, pour la défense et l’illustration
de la langue d’Oc en Périgord, « bornat » signifiant la ruche en occitan. Elle est
dirigée depuis 105 ans par un Majoral élu à vie, parmi lesquels le buguois Jean
Monestier restera l’une des grandes figures.
Elle édite une revue culturelle tous les trois mois : « Lo Bornat » et organise
donc tous les ans depuis 1903 une grande fête populaire où l’on parle et chante
occitan, en costumes folkloriques ou non, dans une ville métamorphosée par la joliesse
d’un ciel décoré de milliers de fleurs faites à la main par un comité de bénévoles
qui s’y attèlent douze mois en amont. Un moment d’échange et d’amitié, la ruse du
Bornat en vérité – de la ruche donc – pour déclencher échange et partage entre voisins
qui bien souvent se méconnaissent.
Tout ce travail se terminant en apothéose le jour de la fameuse Félibrée, comme
ce fut le cas le 2 juillet 2006 à Port-Sainte-Foy en Dordogne, sur le pont Michel
Montaigne et sur l’autre rive, dans la ville Bastide de Sainte-Foy-la-Grande, en
Gironde.
La Félibrée, au-delà de sa poésie et de sa beauté, de la contagieuse bonne humeur
de tous ceux qui l’organisent et y participent, est donc bien autre chose qu’une
simple fête folklorique.
Elle est l’élan de résurgence d’une langue toujours vivante, la langue d’Oc, dont
il nous semblait important de retracer l’histoire ici.
Sophie Cattoire
Nous remercions le Majoral Michel Samouillan, président du Bornat, l’école félibréenne
du Périgord, ainsi que le Capoulier Jaque Mouttet, venu d’Aix-en-Provence à l’occasion
de cette 87ème Félibrée, pour la gentillesse de leur accueil et leur
faculté à partager la passion pour la langue d’Oc qui les anime.
Nous remercions le Majoral Jean-Marc Courbet, secrétaire général (lou Baile) du
siège du Félibrige à Aix-en-Provence et responsable du Centre de Documentation Provençal
à Bollène en Vaucluse pour les précisions historiques qu'il nous a transmises.
Nous remercions également Lionel Pénicaud, auteur des photographies de la Félibrée
du 2 juillet 2006 publiées ici. Une félibrée qui s’est déroulée exceptionnellement
à la fois sur Port-Sainte-Foy en Dordogne et sur Sainte-Foy-la-Grande en Gironde.
Ndlr. C’est coquin d’enjamber un fleuve… Cela rappelle le roman des romans : « Tristan
et Iseult » chef d’œuvre du Moyen Âge que nous lisions sur les bancs du collège.
Souvenez-vous du passage du gué et de l’eau hardie qui se glisse sous les jupes
d’Iseult au moment où son cheval se cabre.
Eléments bibliographiques concernant l’histoire de la langue d’Oc et de l’Occitanie
:
Le Félibrige et la langue d’Oc, Pierre Miremont et Jean Monestier,
Bibliothèque du Bournat du Périgord, 1985.
Histoire d'Occitanie, Institut d'Etudes Occitanes, Paris, Hachette,
1979.
La littérature d'Oc, Jean Rouquette, Paris, PUF, Que sais-je?,
1980.
La langue d'oc pour étendard, Simon Calamel & Dominique Javel,
Toulouse, Privat, 2002.
Histoire du Félibrige, (4 volumes), René Jouveau, autoédité, imp.
Bene, Cavaillon, 1970 à 1987.
Histoire du Bornat, naissance et envol : 1901-1914, Jean-Claude Dugros, Lo Bornat dau Perigòrd, 2001
Cathares et Vaudois en Périgord, Quercy et Agenais, Richard Bordes, L'Hydre éditions, 2005
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