« Tibal lo Garrèl », le premier roman écrit délibérément en occitan en Périgord, et ce par Louis Delluc en 1958, connait cinquante ans plus tard une traduction
de son tome 2 en français dans une édition bilingue occitan/français
à même de faire voyager le jeune Tibal dans le monde « moderne » sans
pour autant le départir de sa langue paternelle. L’occasion de rencontrer le héros
d’un roman palpitant, récit du temps des huguenots écrit pour les jeunes des pays
d’Oc, comme l'indique le sous-titre, avec en prime des illustrations de Jacques
Saraben dans la grande tradition de celles de Julien Saraben, son père, auteur
des illustrations de la
première édition de Jacquou le Croquant.
Si l’histoire se répète souvent dans ce qu’elle a de plus terrible, la lumière avance
aussi grâce à des hommes de bonne volonté rassemblés autour de ce genre de projet
culturel mené en totale fraternité.
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L'OCCITAN, LANGUE DE POÈTES ET DE PAYSANS
C’est en occitan que les paysans du Périgord ont tu l’horreur des guerres de religion,
persécutés, pendus par milliers. Féru d’Histoire et farouchement humaniste, c’est
en occitan qu’un instituteur du Périgord sortit de dessous son pupitre, quatre siècles
plus tard, un roman en leurs noms, audacieux, ravageur, pourfendeur de toutes les
offenses faites à l’innocence, à l’enfance, à l’espérance et à la raison :
« Tibal lo Garrèl ». Tibal le Boiteux raconte la traversée d’un Périgord
à feu et à sang par un jeune paysan balloté entre catholiques et protestants dans
l’absurde et l’abominable des guerres de religion, huit en tout, qui se succédèrent
selon les manuels scolaires de 1561 à 1598. Mais se sont-elles jamais tues ?
LE TIBAL PERDU
Diverses publications de ce roman avaient déjà eu lieu par le passé :
- « Tibal lo Garrèl » tome 1, en présentation bilingue occitan/français,
publié en 1958 par la maison
d’édition Aubanel.
- « El Garrel » tome 1 et tome 2, publié en catalan en 1963 par Joan Sales
dans la collection Club dels Novel·Listes.
- « Tibal lo Garrèl » tome 1 et tome 2, publié en occitan, en 1968, par
le Livre Occitan.
- « Tibal lo Garrèl, Tibal le boiteux » tome 1 en présentation bilingue
occitan/français, publié en l’an 2000 par les éditions de l’Hydre.
A ce jour, le deuxième tome en présentation bilingue n’avait donc pas été publié.
Gérard Marty, président de l’association « Mémoire et Traditions en Périgord »
basée à Alles-sur-Dordogne où naquit Louis Delluc en 1894, eut l’idée voici deux
ans de combler cette lacune en s’attelant à la publication du tome 2 des aventures
de Tibal, dans une édition bilingue occitan-français pour restituer le texte d’origine
tout en permettant à chacun d’avoir accès à cette œuvre majeure enfin dans sa globalité.
L'idée étant de publier un résumé en texte et en images du premier tome : « L'Âme
qui saigne » en introduction du deuxième tome inédit en français : « La
Chair qui souffre ».
Il engagea dans cette aventure Jacques Saraben, photographe, peintre et illustrateur
et Jean-Claude Dugros, majoral du Félibrige, le traducteur occitan de www.albuga.info
et de l'œuvre d’Eugène Le Roy, fin connaisseur de la graphie de la langue
des troubadours. Ensemble, ils remontèrent à la source : Bernard Lesfargues,
poète
et écrivain, traducteur de nombreux auteurs occitans et catalans et surtout ami
de Louis Delluc, disparu en 1974, et dépositaire de ses manuscrits. Bernard Lesfargues
avait confié la traduction de « Tibal lo Garrèl » à Cathy Lapouge
qui y consacra sa thèse universitaire. Tous les éléments étaient réunis pour composer
l’ouvrage. Les quatre hommes et leurs gentes dames se réunirent régulièrement pendant
deux ans pour approcher au plus près l’auteur et ajuster ici un terme, là une image.
Le résultat vient de paraître, préfacé par Jean Ganiayre, conseiller général,
sensibilisé depuis toujours
à la sauvegarde du patrimoine linguistique occitan.
Nous avons la joie, avec l’accord de Jacques Saraben, de publier ici la plupart des
illustrations qu’il a dessinées avec fougue et passion, inspiré par un colossal
travail de recherches documentaires.
L’ODEUR DES CHÈVRES ET DU THYM
Il y a dans ce roman ce contraste terrible entre l’aptitude au bonheur simple du
héros et l’horreur incontournable de l’époque, comble de l’injustice pour un bref
passage sur Terre. Joan Sales, auteur catalan initié à l'œuvre de Louis Delluc par
Bernard Lesfargues et qui décida, tout séduit qu'il était, de traduire et de publier
les deux tomes en catalan l’exprime mieux que quiconque :
« Le roman de Delluc a pour moi le charme sans prix de tout ce qui fait le
paradis perdu de l’enfance. C’est curieux, il ne parle peut-être jamais de chèvres
ni de thym, mais en le lisant et en le traduisant je crois sentir l’odeur de chèvres
et de thym de mon village » écrivait-il à Bernard Lesfargues le 20 août 1962.
Le travail respectueux et amoureux de la langue occitane mené tambour battant par
des hommes de cœur mus par la seule volonté de partager leur idéal de fraternité
restitue dorénavant, y compris en français, la vraie dimension de ce roman universel.
A noter que cette publication bénéficie du soutien de l'Institut Eugène Le Roy et
du Conseil Général de la Dordogne. Et si ce Louis Delluc là n'est pas cinéaste,
si Tibal n'est pas non plus Jacquou le Croquant, une adaptation au cinéma de cette
grandiose saga occitane ferait sans nul doute merveille.
Sophie Cattoire
L'HISTOIRE
La vie est dure entre Beynac, les Milandes et Castelnaud, en cette fin de XVIème
siècle, dans ce Périgord où catholiques et protestants s'entredéchirent peut-être
plus qu'ailleurs. Après « L'Âme qui saigne », nous retrouvons Tibal lo Garrèl, né
sous une mauvaise étoile, dans « La Chair qui souffre ». Mais ni sa flûte, ni sa
fronde n'empêcheront la haine, la jalousie, la violence des hommes de rattraper
Tibal, malgré les hauts murs de Castelnaud et la protection du Capitaine Huguenot
Vivans. Et le voici de nouveau jeté sur les routes incertaines du Périgord, balloté
par les évènements, les subissant sans n'y pouvoir rien changer, à la recherche
désespérée d'un sens à sa vie. Ainsi s'approche-t-il du moment où sa seule consolatrice
sera la Dordogne, cette Granda Aiga, à laquelle il confiera son destin. Espérons
que, comme le passager du bateau ivre deux cents ans plus tard, le fleuve l'aura
laissé descendre où il voulait.
Jean Ganiayre
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