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MICHELINE GARRIGUE LA BONNE FÉE DE L'HÔTEL DE PARIS AU BUGUE APRÈS GUERRE

Le Maréchal Pétain accueilli en sauveur à Vichy, les Américains débarquant à Périgueux, Staline embaumé à Moscou, Joséphine Baker ruinée aux Milandes, la grande vie à New York, aux Bahamas ou en Floride, Micheline Garrigue a tout connu et reste fidèle après tant d’années au Bugue où elle aime à retrouver ses amis Gilberte et Henri Barthe, charcutiers aujourd’hui retraités, qui s’étaient connus grâce à elle à l’hôtel de Paris. Maison réputée qu’elle dirigea avec son mari Jacques Garrigue, chef cuisinier, de 1956 à 1963.


L’ESCALE BUGUOISE D’UNE GRANDE VOYAGEUSE

Micheline Garrigue, née Chevallier, à Saint–Junien-les-Combes (Haute-Vienne) en 1929, fut pour son époque une pionnière. Elle sut très tôt abolir les frontières grâce à son arme absolue : une parfaite maîtrise de l’anglais. « J’ai eu très tôt l’intuition que l’anglais deviendrait la langue mondiale ». Dans les années 40, en France, les jeunes filles capables de parler l’anglais n’étaient pas nombreuses. Elle eut ainsi tôt fait de décrocher un poste à la base militaire américaine venue s’implanter à Coulounieix-Chamiers, dans les faubourgs de Périgueux, en 1945.
Auparavant, elle avait vécu chez ses parents à Vichy. Son père, Louis-Aimé Chevallier, gendarme très bien noté, avait en effet été choisi pour diriger la garde motorisée du Maréchal Pétain en 1940. Grand vainqueur de la bataille de Verdun, devenu ministre de la guerre en 1934, Philippe Pétain est ambassadeur à Madrid lorsqu’on l’appelle au gouvernement en juin 1939 pour sauver la Nation. Investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée Nationale le 10 juillet 1940, il devient, à 84 ans, chef de l’Etat français à Vichy. Son choix de collaboration avec l’occupant allemand – il reste à son poste après l’Occupation de la zone libre en 1942 – lui vaudra d’être condamné à mort par la Haute Cour de Justice en 1945. Sa peine sera commuée en détention perpétuelle à l’île d’Yeu.
Mais au début de la guerre, c’est en héros qu’il s’installe à Vichy et la petite Micheline, onze ans, se trouve plongée dans un univers trouble de fastes et de peur, entre les bottes qui claquent, les blessés qui envahissent les hôpitaux et les splendeurs des banquets où, enfant, elle est conviée avec sa chorale. Car elle chante, elle veut être cantatrice, et un soir, à Vichy au casino, le Maréchal, ému par sa voix, vient la féliciter. Une autre fois, elle est désignée pour aller déposer au pied de la Maréchale un petit colis de secours national, symbolisant la solidarité des Français envers leurs soldats. « Au milieu d’un luxueux salon du Pavillon Sévigné, la Maréchale qui était immense m’a soulevée du sol pour m’embrasser. » A Vichy, Micheline expérimente aussi le courage. Avec ses petites camarades, elles se sont jurées : « Ne jamais descendre du trottoir pour laisser passer les soldats allemands ! » et, le cœur battant, elles ont tenu bon.

CONTE DE NOËL À LA MONTAGNE

Après guerre, le père de Micheline est muté à Périgueux, bourgade encore très rurale, par comparaison. Micheline tombe gravement malade. Une typho-bacillose suivie d’une scarlatine. « J’ai attrapé ça en buvant de l’eau. J’étais comme un fétu de paille. Préparez-vous à la voir mourir ! ont annoncé les médecins à mes parents. J’ai demandé à mon père si je pouvais serrer son petit chien de chasse, Boléro, dans mes bras. Sur ce, j’ai vomi un vers long comme ça, de couleur grise, et j’ai survécu. La mort s’est trompée, elle s’est abattue sur Boléro qui est mort dans mes bras juste après. »
Micheline part ensuite en convalescence dans un préventorium en Haute-Savoie. « C'était un château dans la montagne. En plein hiver, nous prenions le soleil sur une grande terrasse, un solarium, et le docteur depuis sa fenêtre nous lançait notre courrier. Une lettre pour le petit diable ! Il m’appelait ainsi à cause de mon bonnet rouge et pointu qui le faisait rire. Il ne sortait jamais de son bureau. Lorsque j’y suis entrée la première fois, j’ai eu un choc... en raison de l’odeur. Il était entouré d'au moins cinquante chats, portait une longue cape noire et des souliers de lutin retroussés au bout. Ce personnage était au demeurant très attachant. Ce fut une période très joyeuse. Nous nous promenions mes petites amies et moi-même en traîneau dans la neige, tirées par des chevaux comme dans un conte de Noël. »

LE TEMPS DES AMOURS À PÉRIGUEUX

De retour à Périgueux, Micheline fait des études de commerce et devient modèle pour une maison de couture localement renommée « Je présentais chez Madame Montaigne les bikinis et les robes du soir. » Puis elle entre à la base militaire où elle est chargée de recruter des employés français. Elle donne aussi des cours de conversation en français aux soldats américains. Et elle voyage. Jacques Garrigue, lui, pendant ce temps fait l’école hôtelière de Toulouse puis devient chef cuisinier dans différents palaces à Paris et Juan le Pins. Ils se rencontrent au "Colonial", boîte de nuit en vogue à Périgueux dans les années 50. Ils se marient à la basilique Saint-Front en 1956 puis viennent reprendre au Bugue l’Hôtel de Paris, jusqu’alors tenu par les parents de Jacques.

L’HÔTEL DE PARIS METAMORPHOSÉ

Dans cet hôtel, ils vont tout chambouler, initiant une très bonne table et un accueil bilingue très soigné. Micheline fait venir au Bugue des jeunes filles anglaises, élèves de collèges britanniques. Elles sont l’attraction; les Buguois les dévorent des yeux à chacune de leurs apparitions sur les balcons. Micheline organise aussi des expositions de peintures et présente notamment les sanguines quelle dessine. Elle imagine aussi des soirées diapos où elle montre ses souvenirs de voyage à ses clients. En 1954, à l’âge de 25 ans, elle avait en effet participé avec l’agence de voyage "le Touring Club de France" à la toute première excursion officielle d’Occidentaux en Union Soviétique, depuis la Révolution d’Octobre (1917) et le verrouillage des frontières. Une croisière inaugurale via la mer Noire, la Crimée, Yalta : « Je me suis assise à la table même où Churchill, Roosevelt et Staline ont signé les accords de Yalta en 1945 pour se partager le monde. A chaque étape nous avons été accueillis magnifiquement. A Moscou, j’ai signé presque autant d’autographes que Brigitte Bardot ! J’ai vu, sur la Place Rouge, le mausolée avec les tombeaux de verre de Lénine et Staline embaumés, allongés côte à côte. » Staline vient en effet de mourir et la déstalinisation qui le privera de ce trône posthume n’est pas encore engagée (1956). Tous ces documents photographiques, elle les livre donc en avant-première à ses clients de l’Hôtel de Paris au Bugue, devenue halte cosmopolite incontournable.

AVEC JOSEPHINE, UN HUMANISME PARTAGÉ

A l’Hôtel de Paris, Micheline fait la connaissance de Joséphine Baker qui s’est installée au Château des Milandes, à Castelnaud-la-Chapelle, dans la vallée de la Dordogne. « Avec Joséphine, le déclic fut immédiat, électrique, comme si nous nous étions toujours connues. Elle ne rentrait jamais aux Milandes sans faire un crochet par l’Hôtel de Paris pour prendre un verre ou manger un morceau. » Micheline se souvient de ce repas improvisé, toutes deux assises sur la grande table de la cuisine, se régalant de foie gras et de vin rouge.
Une autre fois, sortant de la cuisine et faisant irruption dans la grande salle, Joséphine fut acclamée par toute la clientèle debout, martelant son prénom pour lui faire honneur. « J’avais à l’époque des collégiennes britanniques venues en Périgord exprès pour la voir… elles ont failli s’évanouir en la voyant entrer ! »
Il faut rappeler qu’au-delà des paillettes et de sa ceinture de bananes, durant la seconde guerre mondiale, Joséphine s’était engagée dans la Résistance en intégrant, aux Milandes, le réseau de Jacques Abtey. Et c'est précisément dans les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle qu'elle avait révélé son courage et sa force de caractère.
Dans son château « de la Belle au Bois Dormant » comme elle l’appelait, un château Renaissance édifié à partir de 1489 par François de Caumont, Seigneur de Castelnaud, Joséphine entourée de ses douze enfants adoptés venus du monde entier, sa « tribu arc-en-ciel », veut initier un « village du monde », épicentre d’humanisme et de tolérance.
Dans son Missouri natal (Etats-Unis, rive ouest du Mississipi), elle a connu le racisme violent, puis, dans cette France qui l’a accueillie, elle a vu la guerre et ses déportés. Elle savoure dans les années 50 un peu de calme en Périgord, avant d’être ruinée puis expulsée des Milandes en 1968. « Joséphine me disait toujours : Viens coucher au château Micky ! Mais je devais m’occuper de ma clientèle. Je suis allée à son anniversaire pour ses 54 ans dans la boîte de jazz qu’elle avait ouvert au château. Ce fut inoubliable. Nous étions cinq : Joséphine et Jo Bouillon, son mari, chef d'orchestre, leur pianiste, Jacques et moi-même. Nous nous sommes séparés au petit matin après avoir dansé et ri toute la nuit. Une autre fois, de retour d’une tournée en Côte d’Ivoire, elle m’a offert le bouquet d’orchidées dont l’avait gratifiée le président Félix Houphouët-Boigny. Je l’ai fait sécher et je l’ai toujours conservé en souvenir d’une amitié très belle. »

EN ROUTE POUR LES AMÉRIQUES

En 1963, Jacques et Micheline Garrigue quittent Le Bugue pour Cannes où ils ouvrent un restaurant baptisé « Mon Village », situé à proximité de la Croisette et qui sert des spécialités du Périgord. En 1964, ils décident de partir pour les Etats-Unis, par le bateau transatlantique qui part de Cannes, la nuit. A leur arrivée Micheline et Jacques travaillent dans différents restaurants à Greenwhich, dans le Connecticut, puis ils s’installent à New York même : « Je voulais vivre à New York, je m’y suis sentie tout de suite chez moi. Nous avons habité de splendides appartements avec des halls d’entrée en marbre vert, des fontaines et des doormen (en français : portiers). Ensuite nous sommes partis cinq ans pour les Bahamas où Jacques a été engagé par une chaîne de casinos. Nous habitions alors dans une hacienda immense. Notre fils, Olivier, allait en voiture avec chauffeur dans un collège britannique, annexe de celui de Londres où étaient scolarisés les fils de la princesse Diana. »
En 1990 Jacques Garrigue monte un dernier restaurant, "La Chamade", à Palm Beach en Floride. Puis départ pour les Iles Vierges américaines dans les Caraïbes et retour à White Plains dans le Connecticut. Là tout se précipite, les dates se brouillent. Au moment où les bagages sont prêts pour rentrer en France, Jacques Garrigue meurt d’une crise cardiaque.

LE RETOUR AU BUGUE AUPRÈS DE SES AMIS

Micheline est donc revenue seule en France. Au Bugue, elle a retrouvé ses amis de toujours, Gilberte et Henri Barthe, qui s’étaient connus chez elle, à l’Hôtel de Paris en 1960. « Gilberte s’était présentée à moi, elle était belle et très élégante. Je l’avais immédiatement embauchée. Elle fut parfaite. Henri, le charcutier d’en face venait chaque dimanche après la messe prendre l’apéritif avec son ami Jacques Bussière. Lorsqu’il la vit, ce fut le coup de foudre absolu. Ainsi puis-je me targuer d’être à l’origine d’une fort belle histoire d’amour qui dure toujours. » Après leur départ du Bugue, Henri et Gilberte ont suivi pas à pas les aventures de Jacky et Micky. Micky "l’Américaine" qui entend bien dorénavant partager son temps entre les Etats-Unis où vit son fils Olivier et la France où vit toujours sa mère âgée de 101 ans.
A 76 ans, à la terrasse d’un café au Bugue, entourée de ses chers amis Gilberte et Henri, Micky sourit : « Je suis tellement heureuse de ma vie ! » Son secret : en dépit des épreuves, savoir se sentir bien partout. "Micky land is everywhere" et partout elle promène délicatement sa joie de vivre interplanétaire.

Sophie CATTOIRE

Ndlr: Si quelques erreurs de dates se sont glissées dans cet article, il ne faudra pas vous en formaliser. Micheline Garrigue est résolument fâchée avec les dates « le temps n’existe pas » explique-t-elle. Certains scientifiques partagent d’ailleurs entièrement ce point de vue.

Nous remercions Maria et Eric Vaquier pour leur accueil à l'Hôtel de Paris au Bugue, Gilberte et Henri Barthe et Micheline Garrigue pour le temps qu'ils nous ont accordés ainsi que Madame Claude Delabarre et Madame Angélique de Saint-Exupéry pour leur accueil au château des Milandes à Castelnaud-la-Chapelle au printemps 2005.

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