PARTAGER ET PROTÉGER, C'EST POSSIBLE
Au cinéma Max Linder de Ribérac, un jeudi soir d'automne, sous une pluie diluvienne
et dans le cadre du mois du film documentaire, la salle se remplit au chaud et dans
la bonne humeur. Dès avant le film, des aficionados tiennent à s'exprimer :
« Nous avons déjà vu le film, nous avons déjà vu la grotte, et nous venons
pour revoir Gilbert tellement il nous a conquis ! »
Gilbert, les larmes aux yeux, ne perd pas son sens de la répartie qui traduit son
intelligence de chaque instant :
« La grotte est bien, le guide aussi ! »
À l'issue de la projection tout le monde veut sa photo dédicacée et son numéro de
téléphone. Il les donne, surtout aux dames qui viennent l'embrasser et qui repartent
enchantées.
Le lendemain, rebelote au Pôle International de la Préhistoire aux Eyzies, où pour
la troisième fois le film est présenté pour accueillir ceux qui n'avaient pu entrer
lors des deux premières projections du printemps, pleines à craquer. Et là d'emblée,
le préhistorien Jacques Buisson-Catil qui vient de prendre ses fonctions de directeur
des lieux évoque l'émerveillement qu'il a ressenti lors de la visite de la grotte
de Bernifal faite avec Gilbert quelques jours auparavant. Une grotte qu'il avait
déjà visitée et appréciée il y a une vingtaine d'années. Un souvenir marquant qu'il
n'est pas le seul à avoir conservé. Aussitôt dans le public une jeune femme veut
en témoigner :
« J'ai visité la grotte enfant et c'est ce qui m'a donné la vocation de devenir
préhistorienne. »
Et alors que j'évoque le talent tout particulier que Gilbert développe instinctivement
pour faire découvrir et aimer sa grotte aux enfants, Isabelle Petitfils, organisatrice
de classes vertes à Cladech demande :
« Seriez-vous d'accord Monsieur Pémendrant pour former des guides pour d'autres
sites ? »
Gilbert répond dans un sourire :
« À condition qu'il y ait autant de photos et de bisous à la sortie ! »
Car en effet, à la sortie de Bernifal, chacun le prend en photographie et le serre
dans ses bras, comme pour garder un peu de lui et de ce rêve éveillé qu'il vient
de partager dans le calme et la splendeur de sa grotte ornée.
« Mais pourquoi les propriétaires de grottes ne pourraient-ils plus dorénavant
les garder ? »
Christine Laurent, propriétaire du château de Miremont, pose d'un coup une question
clef. En effet, comme l'explique Gilbert à la fin du film, depuis la nouvelle Loi
sur l'archéologie préventive votée en 2001, qui traite de cet intitulé mais pas
seulement, en cas de découverte d'un vestige archéologique immobilier – monument,
grotte, etc. – celui-ci est présumé appartenir aux collectivités locales ou à l'État,
si ces collectivités ne manifestent pas le souhait de l'intégrer dans leur patrimoine.
Cette Loi a été votée dans le but de protéger le patrimoine de l'humanité, en privilégiant
la protection avant même la recherche et en exigeant des chercheurs des approches
aussi peu vulnérantes que possible. Mais, comme le souligne Jacques Buisson-Catil
lui-même, il n'est pas certain qu'elle soit conforme au Droit européen, dans
la mesure où aucun dédommagement – hormis pour l'accès au dit vestige – n'a été
prévu pour le propriétaire. Il y a une notion de spoliation qui pourrait poser problème
lors de la prochaine découverte d'un site archéologique majeur.
Dans le calme, le respect mutuel et avec fraternité, la salle a ainsi pu aborder
la question essentielle de la sauvegarde du patrimoine de l'humanité. C'est le cœur
même de ce film qui n'est pas une bluette dans les cavernes et dans les prés, mais
une occasion de voir que ne rien toucher est un bon protocole de conservation qui
permet justement de toucher au plus profond le cœur des hommes s'ils y ont accès.
LE DERNIER PAYSAN PRÉHISTORIEN
dans la sélection officielle du onzième
FESTIVAL DU FILM D'ARCHÉOLOGIE D'AMIENS
Quel honneur ! Être retenu dans la sélection officielle du Festival du Film d'archéologie
d'Amiens, en Picardie, berceau de l'archéologie préhistorique ! Nous étions rudement
fiers. Nous avons pris le train Brive-Amiens avec Gilbert Pémendrant, un vendredi
13 avril, très tôt le matin. Il goûtait chaque seconde. Son dernier voyage en train,
c'était en 1956, pour aller faire son service militaire. Après une traversée de
Paris en métro un peu stressante, nous arrivâmes dans la belle gare d'Amiens, sous
ce ciel intense qui surgit après la pluie, cet étrange gris bleuté éblouissant qui
rend tout décor divin. Nous avons levé les yeux vers la Tour Auguste Perret qui
domine toute la ville, toute la Somme, presque, et nous sommes allés nous installer
dans la grande salle du cinéma Gaumont pour dévorer des kilomètres de films consacrés
à
l'archéologie sous toutes ses formes.
Tahar Benredjeb, directeur du festival, port altier, cheveux noirs, planté bien
droit sur terre comme un grand chef inca, présente les films et leurs réalisateurs.
Soixante-cinq films qui s'enchaînent au cours de quatre journées marathon. Nous
arrivons au troisième jour, en plein débat sur « l'archéo-business ».
Oui, ça existe toujours. Un gros trafic d'objets très anciens issus de pillages
mais qui alimentent tout de même collectionneurs et musées. Un trafic démantelé
par une courageuse enquête policière et journalistique relatée par Adolfo Conti
dans son film : « Trafic au musée ».
Le lendemain, nous présentons notre film en expliquant que, oui, dans le même temps,
dans le même monde, il est possible de protéger et de partager les trésors du passé.
Gilbert, dans sa grotte et dans sa ferme, entraîne le public amiénois d'un pays
plutôt plat vers les mystères karstiques du Périgord noir, ses grottes, ses abris-sous-roche.
La salle s'envole et voyage.
Les élèves de la section audiovisuelle du Lycée
La Hotoie qui couvrent l’évènement,
sous la houlette de leurs professeurs Lionel Philippe et Luis Serra, nous proposent
une interview. Renaud, seize ans, nous demande comment il est possible de faire
un vrai documentaire, sans mise en scène ni exposé illustré. Je lui réponds qu'il faut être
là et savoir très vite dégainer sa caméra, un réflexe qui s'acquiert avec le métier
de journaliste grand reporter que j'ai exercé vingt ans à la télé. En s'octroyant
de surcroît un luxe incroyable : le temps, celui que nous nous sommes accordés
tout au long des cinq années du tournage.
Après un après-midi consacré à l'archéologie préventive et de nombreux films nous
montrant à quel point l'INRAP est sur tous les fronts pour sauver les vestiges de
toutes les époques qui ont précédé la nôtre, avant un nouvel engloutissement sous
nos autoroutes et nos lotissements, la soirée fut consacrée à l'Europe préhistorique
avec la projection du film d'Axel Clevenot : « Les premiers Européens ».
Une fresque d'une créativité visuelle remarquable, fondée sur les découvertes archéologiques
majeures faites à travers l'Europe, qui retrace les grandes étapes connues à ce
jour de notre cheminement depuis la sortie d'Afrique.
Ce film recevra le soir même le grand prix du Festival. Le prix de la Drac, récompensant
le meilleur documentaire consacré à l'archéologie métropolitaine, reviendra à David
Geoffroy pour son film : « Gergovie, archéologie d'une bataille »,
la célèbre bataille qui vit la victoire de Vercingétorix et de ses troupes sur les
légions romaines en 52 avant Jésus-Christ. Un film ambitieux réalisé avec peu de
moyens mais énormément de rigueur et de talent. Le prix Jules Vernes-Amiens Métropole
récompensant le documentaire dans lequel l'aspect « aventure humaine »
est particulièrement mis en avant fut remis à Olga Prud'Homme Farges pour son film :
« Christiane Desroches-Noblecourt, une passion égyptienne ». Un portrait
touchant de la célèbre égyptologue disparue l'année dernière. Le Prix GRT gaz «
Archéologie et partenariat industriel » fut remis au « Port englouti de Constantinople »
de Hannes Schuler. Un port enfoui sous le sable dans le détroit du Bosphore, sur
la rive de l'actuelle Istanbul. Enfin, le Prix du Conseil Général de la Somme, attribué
par un jury composé d'élèves du club archéologique du Collège d'Airaines, fut remis
à « Cosquer sauvée des eaux » de Juliette Cambot, René Heuzey et Vincent
May. Un film en partie tourné sous l'eau, car l'accès à la grotte ornée de Cosquer
se fait par la mer, à l'occasion de la captation du modèle 3D de la cavité qui permettra
l'ouverture prochaine d'un fac-similé à Marseille.
Quant à Gilbert, il fut appelé à monter sur la scène par le public, très ému par
son témoignage, tout comme le fut le président du jury, Bruno Béart, conservateur
général du Patrimoine, qui eut la délicatesse de lui rendre hommage. Françoise Payen,
l'une des bénévoles engagée de ce festival, lui offrit une spécialité locale confectionnée
par ses soins : des macarons d'Amiens présentés dans un verre orné de chevaux
de type Lascaux peints de sa main. Un geste adorable auquel nous fûmes très sensibles.
VERS L'INFINI ET AU-DELÀ
Nous ne voulions pas quitter la Somme sans faire un peu mieux connaissance avec
la terre des pionniers ; Marcel-Jérôme Rigollot, Casimir Picard, Victor Commond
ou encore Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes, ceux qui firent accepter la vérité
que murmurait le sous-sol, à savoir la haute antiquité de l'homme, résolument antédiluvien.
Ayant appris grâce à nos confrères de France 3 que les vues depuis le sommet de
la Tour Perret étaient formidables, nous nous sommes rapprochés d'Amiens Métropole
le lundi et l'après-midi même, grâce à Sophie Vachon, nous avions accès au vingt-sixième
étage en compagnie de Xavier Bailly, directeur du Patrimoine. Nous étions aux anges,
d'autant que l'histoire de Saint-Acheul nous y fut contée.
C'est en prélevant la terre à brique pour bâtir les maisons, les fameuses « amiénoises »
que furent découverts, à partir de 1854, les 20 000 bifaces pré-néandertaliens du
quartier de Saint-Acheul situé à l'Est d'Amiens et qu'il fallut accepter qu'à l'Acheuléen
donc, il y a 450 000 ans, vivaient ici les premiers Européens ! Et le
jardin archéologique était là, à portée de vue, entre la Somme et la voie romaine,
devenue boulevard aujourd'hui. Là, aux abords d'une ville verte où circulent bus
et vélos, tout autour d'une imposante cathédrale gothique qui certes pourrait contenir
deux fois Notre Dame de Paris mais dont nous dominions pour l'instant largement
jusqu'aux plus vertigineuses gargouilles.
Ainsi, nous repartîmes avec beaucoup d'images, vues au cinéma ou capturées dans
le réel, toutes très nourrissantes pour l'imaginaire. Le voyage de retour en Périgord
nous déposa à la ferme de la Fuste et à La Ferrassie, épuisés et heureux. Le temps
de reprendre des forces, paisiblement. L'aventure des festivals ne fait que commencer.
Sophie Cattoire
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