DEPUIS TRENTE ANS PEIRAGUDA TAILLE L'OC À FLEUR DE BOURDON...
MAIS ATTENTION : LES TROUBADOURS NE SONT PAS DES COUILLONS !
Ce fut une grosse bourde – et même un sacré bourdon (omission d'un passage entier
dans un texte imprimé) – d'interdire formellement l'occitan à l'école au début du
XXe siècle. De quoi filer
un méchant bourdon (mélancolie, cafard) aux pauvres drôles frappés d'infamie dès
lors qu'ils parlaient la langue... de leur instituteur. Tout le monde devait jouer
le jeu et parler pointu, français et si possible, sans l'accent. Miladíu !
Après deux guerres, le siècle des lumières ayant donné le ton et même le bourdon
(son de cloche particulièrement grave) de sa barbarie, les drôles qui avaient grandi
se sont aperçus qu'à part leurs racines, rien de sérieux ne les retenait sur terre.
Alors, ils ont repris leurs bâtons de pèlerin, les fameux bourdons (bâtons ornés
d'une forme de gourde ou de pomme) et sont allés défendre les bergers et leurs troupeaux
sur les plateaux du Larzac, convoités par les militaires pour y jouer – par anticipation
– à la guerre. En 1973, l'association de défense du Causse du Larzac et de son environnement
brandit un slogan en occitan : « Gardarem lo Larzac ! »
(Vous n'aurez pas le Larzac !) qui deviendra le cri de ralliement de tous les
jeunes Occitans. Le Larzac, c'est aussi leur problème, car l'avenir qu'on leur prépare
c'est l'exode, le chômage, ou l'armée.
Alors là, finis les flonflons, les culottes bouffantes et les chapeaux de feutre
emplumés. C'est bien la langue des troubadours qui est appelée à la rescousse, mais
comme langue de révolte, car ces nouveaux troubadours sont loin d'être de braves
couillons. Ils ont la rage mais aussi le son. Toute la douceur et le moelleux du
jeu d'orgue nommé bourdon, toute la facétie aussi des grands poètes du Moyen-Âge,
virtuoses du faux-bourdon (procédé de composition médiéval irréductible puisque
basé sur l'improvisation).
En Périgord Noir, où l'on avait fini par comprendre que les "pierres de foudre"
ou "langues de serpents fossilisées" avaient en fait été taillées bien avant la
biblique Genèse par des humains pas vraiment à l'image de Dieu (Oh! Le choc face
à la boîte crânienne du cousin Néandertal, artisan du style moustérien...) un groupe
va mettre le feu sur scène à la fin des années 70, et pour cause. Ils se frottent
au public comme de beaux diables, alors même qu'ils se font appeler "Peiraguda"
qui signifie la pierre aigüe, c'est-à-dire... les silex taillés.
Le feu, d'où vient le feu ? De l'expérience du frottement (oui) de l'amour,
explique le postier philosophe Gaston Bachelard dans son essai brûlant de désir
et d'intelligence intitulé : « La psychanalyse du feu ».
Trente ans plus tard, Peiraguda met toujours le feu à l'amadou. Un feu d'amour qui
dure, avec l'humour et la révolte pour braises qui ne s'éteignent pas.
Sur ce surgit un faux-bourdon – vrai copain, ayant trouvé refuge récemment sur la
Lande de Paunat. Jeune prof de langues affecté dans le Rouergue en 1963, il apprend
l'anglais à des Occitans... à moins que ce ne soit l'inverse. Il tombe en pâmoison
et en amitié avec les poètes aveyronnais Paul Gayrard et Jean Digot. En 1968, il
rentre à la Faculté des Sciences puis à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Maître
de conférence, il continue d'enseigner l'anglais mais aussi l'histoire de l'art
qui pour lui raconte la résistance et la vie.
À l'heure où le temps devient sien, aussi appelé retraite, Jacques s'installe en
Périgord, où son père avait donné un visage au premier Jacquou le Croquant illustré,
publié par Fanlac en 1975, et se lance dare dare dans l'étude de la langue occitane.
« Quatre fois plus de vocabulaire la rende infiniment plus riche pour exprimer
la tendresse, l'humour et la liberté aussi ! » dit-il avec son œil de
faux-bourdon qui frisoulite.
Pour www.albuga.info il infiltre
la tribu occitanophone toujours bourdonnante en Dordogne, avec des partisans professeurs
d'occitan et ici et là, l'espoir qui renait sous forme de calandrettes, ces écoles
maternelles et primaires bilingues en immersion : la moitié du temps tout se
fait en français, le reste du temps, tout en occitan. Un tremplin pour que ces enfants
là soient doués pour les langues, toutes celles à venir qu'ils souhaiteraient apprendre.
Et pourquoi l'ai-je appelé faux-bourdon notre envoyé spécial en Occitanie périgorde
vivante et créative ? Afin de mener à terme mon projet d'évocation de tous
les sens du mot bourdon, vous l'aurez compris, car il faut toujours faire les choses
à fond et ne jamais s'enliser dans le bourdon de Saint-Jacques (nom vulgaire de
la guimauve). Mais surtout pour avoir l'occasion de réhabiliter le faux-bourdon,
insecte longtemps ostracisé comme la langue occitane, car on n'avait rien compris.
Qualifié d'abeillot, ce qui signifie nigaud en abeille, il fut piégé dans un but
d'éradication totale jusque dans les années 70 où l'on comprit enfin son rôle de
mâle, juste indispensable pour féconder les reines d'abeilles. Ainsi le faux-bourdon
reprit-il sa juste place dans la ruche – lo bòrnat – qui elle non plus n'était pas
là où l'on croyait, mais ceci est une autre histoire.
Quant à Jacques, après un concert mitraillé d'un bout à l'autre ce 17 avril 2009
à Montignac pour les 30 ans de Peiraguda et compagnie et une pluie de clichés emplis
de bonheur et de vie, suivi dans la foulée de mois d'études et de recherches des
plus rigoureuses, il vient de nous pondre un fameux article qui relate la véritable
histoire de la langue occitane depuis ses origines jusqu'à sa renaissance aujourd'hui.
Comme le Phénix...
Je vous laisse donc découvrir son enquête foisonnante, enflammée, qui comme tous
les articles d'albuga.info est également consultable en anglais et en occitan, grâce
à nos traducteurs émérites Valérie Saraben, venue de Darwen dans le Lancashire,
et Jean-Claude Dugros, natif d'Agen niché dans le Bergeracois. Il vous suffit pour
cela de cliquer sur le drapeau de votre choix en bas de page.
Allez, c'est parti ! Et bon vol...
Sophie Cattoire
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« Coma lo fènix »
le chant de Peiraguda
« L’amitié ce n’est pas seulement une affaire de cœur et de sentiments.
C’est aussi une affaire de regard, un biais d’agach, d’espiada. Al mendre cop d’uelh,
se comprenèm… » (… une sorte de complicité dans le regard,
de confiance immédiate ; un seul coup d’œil et l’on se comprend.)
Joan-Pau Verdier, 2009
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En 1977, Gine Bonnefon, inventrice d’une grotte ? Non. Cette année-là elle
forge le nom du groupe de chanteurs-poètes "troubadours" sarladais du XXe
siècle : « PEIRAGUDA ». Ils vont devenir les ambassadeurs de l’authentique
chanson occitane, de cette langue d’oc, rude, chaude, rocailleuse, "croquante",
tendre ou violente, sensuelle et charnelle :
« … lengatge cantaire, un tan doç paraulís, talament amistós, talament
calinhaire… qu’es vièlh coma lo temps de la pèira agusada, mas ont l’òbra latina
a botat son empeut… » (ce langage chantant, ce parler séduisant, si
doux, si amical, si cajoleur, qui semble remonter au temps de la pierre taillée,
tout marqué qu'il soit du greffon latin).
Meri de Brajairac, poète.
Montignac… pour fêter les 30 ans !
Ce soir du 17 avril 2009, dans un silence parfois sacré, nous étions mille à Montignac,
d’alentour, de France et d’ailleurs - parlant ou ne parlant pas "croquant". Nos
cœurs vibraient et nous avions la charn mòla (la chair de poule) en écoutant
ces chanteurs, poètes et conteurs : femmes et hommes de l’amitié, de l’amour,
du partage, de la fierté et de la révolte, venus crier que la terre d’oc n’était
pas un mythe et qu’elle était plus vivante que jamais.
« Peira aguda, peira agusada, coma l’ongla del diable » (Pierre
aiguë, pierre aiguisée comme l'ongle du diable), langue rude, « rufa, dura coma
un ròc » (rude, dure comme le roc), celle de « país de l’òme »
(du Pays de l’Homme) - selon la formule créée par Michel Testut.
Coma un fenix… Comme le phénix…
Le phénix renaît toujours de ses cendres. Occitanie, terre de nos racines, terre
de fraternité, d’amour et de partage, mais aussi de luttes, de révoltes et de déchirures,
terre humiliée, saccagée, pillée, terre des gens d’ici, d’aici… les siècles
de croisades, d’oppression, d’interdits, de mensonges et vaines promesses, de tentatives
sournoises d’un "pouvoir" pour éradiquer mille ans de culture et de langue ont échoué.
Comme le dit Claude Marti : nous sommes « un país que vòl viure »
(un pays qui veut vivre) ; « la lenga que parlam es patrimòni de l’umanitat,
es la lenga de la libertat ! » (la langue que nous parlons est
patrimoine de l’humanité, elle est la langue de la liberté).
LE FLEUVE ET LA SOURCE
Le Concert des Peiraguda à Montignac
« Le fleuve n’existe que par un apport d’eaux étrangères à celles
de la source. Il est constitué d’eaux métissées qui font qu’il devient "nous" et
non plus "je". Et quand il arrive à la mer, à l’élément universel, il devient "tous".
» (Jacques Lacarrière, Entretien, Mémoire vivante, 2002).
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Transportés nous étions ce soir là à Montignac et ce fut la rarissime rencontre
de sensibilités et le bonheur qu’ont ceux de Peiraguda de faire partager leurs voix,
leur parole, leurs mélodies avec ces mots qui nous parlent de l’attachement à notre
terre d’Oc, de nous, du présent, de l’avenir plus qu’incertain, de la mémoire collective,
de l’histoire de chacun et de chacune de ces homme et femmes qui sont nos vraies
"racines" et non pas seulement nos ancêtres. Avec des mots simples, expressifs,
porteurs de sens et de sensations, ils savent exprimer la fraternité, la tendresse
ou la révolte, le courage, la générosité et le paratge. Salinié a chanté
: « Pincadas al còr de mon país / ai de tan prigondas raiç / ai de tan
rebèlas raiç / que degun me podrà desregar… » (Gravées au cœur de mon
pays, j’ai de si profondes racines, de si rebelles racines que personne ne pourra
arracher…).
« L’ensemble (Peiraguda) franchit les barrières de tous les cœurs, communique
avec toutes les intelligences et imprègne toutes les mémoires »
Alain Armagnac, Le Journal du Périgord, août 2009
… et Ginette Bonnefon résume ainsi la "Peiraguda Brotherhood" (un clin d’œil à une
fraternité de peintres anglais…) :
« On s’est toujours serrés pour essuyer nos larmes de chagrin ou de joie »
Peiraguda, chanteurs d’Òc
C’est à un grand écrivain, conteur, animateur, enseignant et chanteur, l’amic Chava
(Daniel Chavaroche pour les non intimes) que je laisse volontiers faire revivre
le film-épopée de ce groupe mythique dans son excellent ouvrage, "Peiraguda, Chanteurs
d'Òc", publié cette année chez l’éditeur et photographe Francis Annet. C’est un
livre passionnant, clair, sincère, chaleureux et rocailleux, de celui qui parle
"croquant" et qu’on aime pour son intelligence, son cœur et son grand sens de l’humour
òc, occitan, bien entendu. Avec Patrick, Jean, Ginette et los jounilhons
de la nouvelle génération, Pascal et Rafaèle, Chava nous fait revivre tous leurs
souvenirs et, au fil des rencontres, la joiosa frairalha évoque Rimbaud,
Baudelaire, Brassens, Ferré, Cabrel, les Beatles et tous les compagnons de route
qui ont partagé leur aventure passionnée.
Dans
un très beau texte (page 23) Patrick Salinié en dit long sur les "folkleux", les
passéistes et les nouveaux "hérétiques" dont les parents, grands-parents et arrière-arrière-grands-parents
avaient (comme les miens) vécu « lo senhal », « le signal »
et avaient été frappés à la baguette dès qu’ils osaient prononcer un seul mot de
patès, leur langue maternelle (la lenga mairala). Reniant leurs racines,
les instituteurs « hussards noirs de la République » utilisaient ce procédé
stupide et cruel, ignoble et traumatisant, apprenant par la force et la contrainte
qu’ « il n’est bon bec que de Paris » ! Cent ans d’escola per escanar
l’occitan (cent ans d’école pour étrangler l’occitan…) !
À marquer d’une pierre blanche :
1968 – Le Larzac, « La Caverne » de Périgueux et non de Liverpool !,
le docteur-poète Boissel, les premiers duos Patrick Salinié/Jean-Louis Garrigue
(ce dernier quittera le groupe après six ans d’histoire commune).
Hiver 1977 – Domme… la vraie aventure commence
1978 – Albi, Montignac, Commarque et Montpellier. Sortie du premier 33 tours
vinyle, « Lo Leberon ». Le regretté Gilbert Guillaume sera le compagnon
d’un an, mais « un Peiraguda à jamais ».
1980 - "Raïç" (avec la contrebasse et le violon folk de Bernard Gilet), le
second 33 tours.
1981 - Année clef et nouvelle consécration : le majoral du Felibrige,
Jean Monestier, demande à Peiraguda de composer l’ode à la Reine, « La Margarita
Blanca », pour la Félibrée de Sarlat. Le folklore est revisité :
"folk-lore", ce mot dont l’étymologie, le premier sens, le sens vrai, est « le
chant, la création vivante et spontanée du peuple » mais qui est hélas
le plus souvent devenu, comme l’a écrit Joan-Pau Verdier, « un produit de musée,
le trompe-désespoir d’un peuple avili » (Le Magazine Littéraire, mai
1973)
Etés 1979-80-81-82 - Concerts place de la mairie à Sarlat avec Marti, Los
de Nadau, Perlinpinpin Folc.
Le livre de Daniel Chavaroche est un « must », una òbra de mestre,
un trésor : une mine de témoignages et d’anecdotes vibrants sans fioritures
de style.
L’Apothéose
Aux Frontières de la Tradition et de la Modernité
Ce jour-là, le 17 avril 2009, Jean Bonnefon, Ginette Bonnefon, Pascal Bonnefon,
Patrick Salinié, les Peiraguda de la première heure – avec Daniel Chavaroche et
les musiciens Jacques Gandon et François Paoli – avaient invité leurs « frères »
de toute l’Occitanie en associant à cette grande fête les noms les plus prestigieux
d’hier, d’aujourd’hui et… de demain : Claude Marti, le "paysan de l’âme", parole
de vivant à la rencontre d’un peuple, messager d’espoir et de lutte, celui qui «
prit la guitare au diapason de tous les gens qui voulaient en finir avec la société-caserne
».
Souffrant, Marti n’était pas à Montignac, mais Joanda, qui venait d’enregistrer
"Register" était bel et bien là pour interpréter l’archétype occitan "un païs que
vol viure". Un public tout feu, tout flamme reprenait avec Joan-Pau Verdier et Joan
de Nadau "l’escharpa de fuoc" et "l’immortela", devenue depuis des années le second
« hymne » occitan. Éric Fraj, d’une voix ample et timbrée, chantait "Varsovia"
et "Marinhier" (Éric Fraj, dont Marti disait en 1981 : « tu as des chansons
bondissantes comme des bottes de sept lieues… d’autres pointées sur les nuages,
pour crever le temps, l’oubli, l’hiver et la bêtise… Ambe tu, Éric, cantarem. Je
crois que nous allons être très nombreux… »).
Patrick et Jean avaient invité le captivant conteur Daniel L’Homond, la chorale
de l’Atelier Sarladais de Culture Occitane qui interpréta "Trauca montanha" et "Vielhs
bateus", le groupe IGOR avec "ai paur". Bonnefon et Salinié enthousiasmaient leur
public avec "Adiu", "Al fond de tu", "Miladiu", "La pendula" ; Pascal Bonnefon,
Gérard Morandi et Didier Berguin reprenaient "Bébé d’Oc" de Bigaroc (« le chant
du sud » de 1989, mescladis rock-folk et oc-français) ; le groupe « Cur
deus omes » (Chœur des hommes de Yannick Guédec) interprétait "Entre
la Reula", "Nuech de mel" et "la margarita blanca". Et après les ballets de Didier
White ce fut un final éblouissant, grandiose, où tous les participants mêlaient
cœurs et voix dans un pot pourri de toute beauté.
Peiraguda 2009 restera un chef-d’œuvre inoubliable, gravé à jamais dans notre cœur
et notre mémoire. Grandmercés, los amics !
Max Rouquette et la langue de Peiraguda
Retrouver le chant profond
Face au ghetto culturel dans lequel sont enfermées la poésie et la chanson occitanes
et une France effrayée par sa propre mémoire, il est un prodigieux écrivain qui
a lutté toute sa vie contre le préjugé tenace de regarder comme infériorité le fait
de parler occitan et contre une pédagogie de la délation. Cet auteur, amoureux défenseur
du parler de ses « grands » (et des miens, tous mes aïeux du ribéracois),
a écrit en français et surtout en occitan qui, selon lui, est « une langue beaucoup
plus expressive que le français », fabuleux langage de liberté, son
vocabulaire étant, comme en anglais et dans bien d’autres langues, parfois trois
à quatre fois plus riche et flexible en variations, en connotations et surtout en
charges affectives. Max Rouquette est traduit en français, italien, polonais, allemand,
anglais, galicien, catalan, arabe, néerlandais, castillan, danois…
S’il en est un – avec Bernard Lesfargues – qui, à travers ses paroles si vraies,
souvent poignantes, partage l’engagement et le génie de Peiraguda, c’est bien Max
Rouquette, musicien des mots et des sens. Ecoutons-le, mais auparavant méditons
sur ce qu’écrivait Frédéric Mistral (Prix Nobel de littérature pour son magnifique
poème en occitan, « Mireille », tant admiré par Lamartine) :
« Cette langue d’oc… à l’école ils la mettent en fuite et lui barrent la porte
au nez… ».
En 1877 il ajoutait avec des accents prémonitoires :
« Rappelons-nous bien que le gouvernement, quel qu’il soit, n’aura jamais l’idée
de donner quelque chose si on ne lui demande pas. Il est donc indispensable de réveiller
partout, et dans toutes les classes, le goût et l’orgueil de notre langage, nostre
parladuro… si le provençal ne devait dans les écoles que cirer les bottes de son
dédaigneux rival, il vaut mieux le laisser vivre dehors et dans les champs… ».
Certains ont osé écrire que « le paysan a l’esprit lent et lourd et est réfractaire
à toute réflexion ». En 1999, et à nouveau aujourd’hui en 2009, l’actuel
Premier Ministre français a déclaré : « La question des langues régionales
est un sujet anodin… c’est un patrimoine qui ne mérite nullement de figurer au rang
des enjeux culturels du futur. »
Il est facile et mesquin de parler d’un passé révolu, des charmes savoureux d’un
patrimoine folklorisé et fossilisé ! La modernité ne peut se dire qu’en français,
en franglais ou en anglais ? La question linguistique a rarement été pensée
pédagogiquement, politiquement, culturellement ou d’un simple point de vue civique.
Dans un entretien avec Henri Giordan, « L’espace de l’écriture
occitane », Max Rouquette évoque le problème de la clandestinité
de la voix occitane et de la censure exercée par les institutions françaises :
« Le français ne m’a jamais tenté. Je suis trop près des êtres et des choses.
Sept cents ans de règne et d’intellectualisme forcené l’ont étiolé. Une langue exsangue
qui craque sous les pressions techniques et anglo-saxonnes, vidée par l’abstraction
au point de ressembler beaucoup plus à une algèbre qu’à un langage. Jamais le français
ne m’aurait permis de dire ce que je sentais. »
« La conscience occitane, pour moi, c’est celle d’une voix spécifique, comme
celle de chaque peuple, de tous les peuples, et qui n’a de sens, ni raison d’être,
que dans la mesure où elle ambitionne de s’intégrer dans le chant général, je veux
dire le chœur de tous les autres peuples. »
« Pour moi, la bataille, si bataille il y a (ce langage guerrier !), est
sur deux fronts : celui d’une société à conquérir, celui d’une culture à sauvegarder…
Quant à être le "témoin" d’une société occitane rurale, dans l’ensemble, je pense
que je le suis. Elle m’a nourri, créé, façonné, et même si j’en suis sorti, je reste
à elle…Elle est le lieu du langage. »
« Pour un occitan comme ceux de mon espèce, rien n’est jamais joué. Ils ont
cru, au plus noir de la nuit. Au risque du ridicule, de la souriante condescendance
des uns, du grossier mépris des autres. Ils étaient une poignée d’irréductibles.
Et un jour de 1968 ils ont commencé à avoir raison. Et on a commencé à les regarder
autrement. Alors, leur travail n’était pas inutile, ne fût-ce que pour fonder les
occitans en dignité. C’est le premier degré de conscience. Le reste peut suivre.
»
Les Mensonges de l’Histoire
en finir avec le silence
Ome d’Òc, as dret a la paraula. Parla ! (Homme d'Oc tu as le droit de
parler. Parle !)
« Écrire sur la Mémoire, c’est protester contre cette amnésie, demander pardon
à toutes celles et à tous ceux qui ont voulu pour nous une vie à hauteur de cœur,
rêvé d’un monde qui ne serait ni vide ni absurde et espéré que l’âme populaire ne
serait jamais une âme morte. »
Ces paroles sont de Robert Poudérou, ami de classe Terminale au Lycée Bertrand de
Born à Périgueux, auteur de « Les cahiers du grenier » (L’Harmattan,
2008) et metteur en scène qui anime depuis 1994, en Périgord, le festival « La
mémoire des Humbles ».
« Ô pauvre génération abusée digne d’être chassée du pays, qui laisse par ingratitude
la langue de ta nourrice pour apprendre, tout compte fait, un langage fardé… »
Pey de Garros, « Poesias gasconas », 1567
Pourquoi, pendant des siècles, les enfants scolarisés n’ont-ils pas eu le droit
de connaître leur passé, la langue de leurs ancêtres ou de leurs parents et grands-parents
? Pourquoi leur a-t-on enseigné l’histoire écrite par des chauvins "cocardiers"
? Pourquoi leur a-t-on menti ?
1209-1244 - Sinistre croisade contre les Albigeois, barbarie venue du Nord,
déni de liberté de religion, de pensée libre. Il y avait les objectifs théologiques
de la papauté mais aussi les objectifs économiques : pour le roi de France
le défi était de conquérir une vaste terre riche ouvrant sur la Méditerranée. En
cette année 2009, huit cents ans après, à Carcassonne, toute l’Occitanie se souvient
avec effroi d’Arnaud Amaury, de Simon de Montfort, de l’Inquisition, des massacres
et des bûchers.
1244 - Le « camp dels cramats » (le champ des
brûlés) à Montségur. Les Capétiens ont dominé et gagné militairement. « La Montjòia »
- mot intraduisible, ancien cri de guerre – reste à jamais pour le peuple occitan
le bloc de pierre symbolique et sacré consacrant le souvenir, tel un "monument aux
morts".
« La chanson de la croisade (contre les Albigeois) », « la Canson
de la Crosada », long poème historique et épique, est le plus important
témoignage de l'Histoire (couvrant les évènements de 1208 à 1213 et de 1213 à 1218,
à la fois partial et impartial. La première partie de 2772 alexandrins est de Guilhèm
de Tudèla, froid chroniqueur, alors que la seconde partie de 6810 alexandrins est
l’hymne douloureux d’un auteur anonyme mais engagé, embrassant la cause occitane).
« La Canson » relate toute l’horreur du génocide des faidits (proscrits).
Il faudra attendre plusieurs siècles pour que la langue de l’Amour devienne arme
de résistance et de combat ; ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que Frédéric
Mistral sera l’un des premiers à écrire :
« Tout enfant du Midi sentira toujours battre son cœur… le sang qui coula
dans cette horrible mêlée a peut-être cimenté les fondements de la France… mais
il est autre chose que les morts nous demandent, et à laquelle les morts ont droit :
c’est le souvenir. Comme nous bénissons le ciel de nous avoir conservé cette "chanson"
! ».
Huit siècles ont passé et, malgré la terrible amnésie de l’homme, le souvenir du
massacre de Béziers est loin de s’être effacé. Deux spectacles restituent avec un
réel souci de vérité historique cet épisode tragique : en août 2009, « Oc
Cathares - La Croisade », spectacle-mémoire sur la croisade levée par
le pape Innocent III pour venir à bout des « hérétiques », a eu lieu à
Carcassonne (conçu par Christian Salès et Anne Brenon, conseillère historique) ;
en janvier 2010 Jordi Savall, le grand musicien catalan espagnol, violiste gambiste
et chef de chœur, offrira un véritable tribut à la mémoire cathare et occitane dans
un concert, « Le Royaume Oublié », où textes poétiques en occitan
retraçant la violence des persécutions se mêlent à la beauté du timbre des instruments
d’époque de la Capella Reial de Catalunya.
1539 – Trois siècles ont passé et l’occitan, langue dominée, perd sa fonction
de langue administrative et juridique, utilisée jusque-là dans toute l’Europe. Avec
la promulgation de l'Édit de Villers-Cotterêts par François Ier, les écrits officiels
devront désormais être « en langage maternel françois et pas autrement ».
Mais Au XVIe siècle la lenga mesprezada (langue méprisée)
reste la langue du quotidien du peuple d’Oc et on assiste à une première "renaissance",
grâce au poète gascon Pey de Garros.
1610 - Le refus des racines populaires s’accentue. Conséquence de la Fronde
ou du despotisme royal, l’Académie de l’art poétique définit la langue française
« pure » et – comme elle sera décrite longtemps dans nos manuels scolaires :
« agréable, douce, pure, chaste, noble et majestueuse ». Malherbe décide
l’exclusion du parler du peuple et de tous les vocabulaires techniques qui ne sont
pas ceux de la cour et de la haute société parisienne. Trahissant sa propre langue
et sa culture pour assouvir son ambition personnelle, il pourchasse l’occitan en
s’efforçant de « dégasconniser » la cour. C’est le début de la coupure
radicale entre la langue française et le peuple de France.
1634 - Richelieu crée l’Académie Française qui condamne tout le parler de
la province.
1784 - Rivarol devient célèbre avec son « Discours sur l’universalité
de la langue française » et dit :
« C’est sur les patois que le petit peuple exerce ses caprices, tandis que la
langue nationale est hors de ses atteintes. »
1794 - Alors que le poète toulousain Godolin ne renie aucunement sa langue
d’Oc, l’abbé Grégoire présente, « au nom de la Liberté », un rapport sur
les "patois" à la Convention le 16 Prairial an II et la même année Barrère déclare
que les dialectes locaux sont les "ennemis de la Révolution" et doivent être anéantis.
La Terreur les assimile à l’Ancien Régime et souhaite universaliser le français
qui incarne la République, le progrès…, la raison et la laïcité. Et pourtant, en
1789, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen on pouvait lire :
« Chaque citoyen peut parler, écrire et imprimer librement. ».
Mais, sans trop le clamer, l’abbé Grégoire reconnaissait aussi :
« Par leurs richesses et leurs prosodies éclatantes, les dialectes rivalisent
avec la douceur de l’italien et la gravité de l’espagnol. »
…et il ajoutait :
« Probablement, au lieu de la langue des trouvères, nous parlerions la langue
des troubadours si Paris, le centre de gouvernement, avait été situé sur la rive
gauche de la Loire. » Michel Barris, « Langue d’Oïl contre langue
d’Oc », Fédérop, 1978
1832 – l’orthographe de la sacrosainte Académie devient orthographe d'État.
Si Hugo a dit : « Tous les mots sont égaux en droit »,
Stendhal, quant à lui, ose écrire :
« On croit aux sorciers, on ne sait pas lire et on ne parle pas français dans
ces pays (dans le Midi). »
… et Michelet : « (Dans le Midi)… les gens aisés du moins sont français
; le petit peuple est tout autre chose, peut-être espagnol ou maure… »
À la fin du XIXe siècle, une figure historique assez méconnue, Onésime
Reclus, invente le néologisme "francophonie". Il sera l’ardent promoteur de l’expansion
coloniale, appelant à ériger une "Afrique française", la langue française devenant
la langue mondiale, « le verbe de centaines de millions d’hommes de toutes origines
», rêvant d’un monde où les langues des peuples colonisants finiraient
en tout pays par étouffer les autres.
Si la francophonie existe aujourd’hui, les critères d’appartenance à l’Organisation
Internationale de la Francophonie ne seront plus, dans les trois dernières décennies
du XXe siècle, conditionnés par une histoire coloniale commune, le français
n’étant plus imposé comme langue officielle même si les pays devenus indépendants
éprouvent toujours la nécessité de poursuivre avec la France des relations fondées
sur des affinités culturelles et linguistiques. L’accent sera mis désormais sur
le multilinguisme et le respect de toutes les langues constituant l’héritage commun
de l’humanité.
Périgord Terre Occitane
Joan-Loïs Lévêque
Dans un ouvrage récent, "Perigòrd, tèrra occitana" (juin 2008), Jean-Louis Lévêque,
président de Novelum, section périgorde de l’Institut d'Études Occitanes, apporte,
avec la rigueur du linguiste et de l’historien, un éclairage essentiel sur l’identité
du Périgord. Nous tenons à le remercier chaleureusement de nous permettre de citer
des pages de son analyse et de sa défense d’un facteur essentiel dans l’apprentissage
des langues : le bilinguisme. Les linguistes, psycholinguistes et sociolinguistes
ont toujours insisté sur le fait que l’on maîtrisait mieux la langue si l’on maîtrisait
sa langue maternelle, que l’unilinguisme était une des choses les plus rares au
monde et surtout que jusqu’à 8-9 ans les fonctions cérébrales de l’enfant permettaient
la maîtrise de plusieurs langues. Mais nous devons malheureusement constater qu’en
France l’enseignement des langues ne commence qu’en CM2 ou en sixième, donc après
ce seuil d’âge. Écoutons Jean-Louis Lévêque :
« Le Périgord parle deux langues. La première, l’occitan, est issue d’un ordre
que l’on pourrait qualifier de naturel : elle est le fruit d’une évolution
linguistique qui a commencé sur notre sol il y a plusieurs milliers d’années. La
seconde, le français, lui a été imposée par les aléas de l’Histoire ; Tant et si
bien que devenu la langue unique de la République, le français a ravalé l’occitan
au simple rang de patois et l’a condamné à terme à l’extinction et à l’oubli… Sous
tous les régimes, le pouvoir central a considéré que les langues de France étaient
une menace pour l’unité nationale. Pouvait-il en être autrement ? C’est justement
parce que la France s’est construite en juxtaposant des territoires linguistiquement
et culturellement différents que les gouvernements avaient (et ont toujours) conscience
de la fragilité et du caractère ambigu de l’identité nationale. Pour façonner cette
identité, aucun moyen n’a été négligé : négation du caractère multiculturel
de la nation française, culte de la supériorité du français vis-à-vis des autres
langues de France, éradication du bilinguisme à l’école et dans la vie publique,
réécriture de l’Histoire par la construction de mythes nationaux, conception de
programmes scolaires unifiés et purifiés des particularismes locaux, confiscation
de l’espace audio-visuel au profit des médias « nationaux »… Aujourd’hui
la France est le seul pays d’Europe qui refuse encore de reconnaître sa richesse
linguistique… La société française aspire chaque jour davantage à ce que soit combattue
la pensée culturelle unique, ennemie de la diversité et matrice de l’ethnocentrisme…
Le sentiment d’appartenance à une culture n’est-il pas justement le propre de toute
quête identitaire ? La richesse et la diversité des langues et cultures de
France ne sont-elles pas les composantes les plus précieuses, et peut-être les plus
admirables de l’identité nationale ? Notre travail n’avait pas d’autre ambition :
préparer les générations futures du Périgord, vieille terre occitane, à l’idée que
le monolinguisme à la française était une erreur, et qu’il ne servait ni l’intérêt,
ni la grandeur du pays. »
Enseignant linguiste pendant plus de quarante ans avec des publics très jeunes ou
adultes et ancien conseiller pédagogique pour l’Aquitaine, je tiens à dire combien
je suis sensible à ce qu’écrit Joan-Loïs Lévêque et à son approche de l’accentuation,
de la phonétique, de la syntaxe et surtout de la graphie dite "normalisée" qui permettra
à cette si belle langue d’Òc d’être partagée et comprise par tous – respectant les
richesses et spécificités de vocabulaire ou d’expressions imagées de telle région
ou de tel village – au lieu de persister à sauvegarder, tout en souffrant inconsciemment,
une écriture "francisée" en perte de racines. Le système de notation graphique classique
de Louis Alibert adopté depuis 1945 (après la réforme commencée dès 1898 par Estieu
et Perbosc, Camproux et tant d’autres) est pertinent car les codes de l’écrit ne
recoupent jamais ceux de la langue orale. En Grande-Bretagne tous les locuteurs
de toutes les régions ont des différences réelles d’accent et de vocabulaire mais
lisent tous une graphie unique dans la presse, la littérature et tous les medias
En Chine la réforme de Mao Ze Dong a permis à des millions de locuteurs de langues
et dialectes très différents de lire « Le quotidien du peuple » grâce
à une idéographie simplifiée et surtout une graphie « phonétique » unique.
Il faut sauver la langue occitane des origines, celle de nos parents et grands-parents
qui ont souffert de ne pas savoir lire et n’ont pu que transmettre en partie le
seul héritage oral. Pourquoi ne pas faire confiance aux enseignants compétents de
langues vivantes, linguistes et authentiques pédagogues ? La réponse est entre
les mains du Ministère de l’Education Nationale et des autorités rectorales des
différentes parties de l’Occitanie. Rendons hommage aux animateurs-enseignants et
à tous les bénévoles de l’IEO et des associations.
De l’art d’écrire une langue parlée pour lui permettre de survivre
L’orthographe de la langue d’Oc serait-elle un "français patoisé" ? N’a-t-elle
pas plutôt permis de respecter la diversité dans l’unité et la tolérance, avec des
règles de graphie communes qui permettent l’intercompréhension ?
Dès 1947 Charles Camproux faisait le point sur la langue d’oc qui possédait jadis
une orthographe qui lui était propre, la langue des troubadours tendant à une certaine
unification. Il écrivait : « À partir du XIIIe
siècle, la langue courante des textes officiels offre sur tout le territoire une
unité orthographique remarquable si on la compare à ce qu’était alors l’orthographe
du français. »
Il remarquait que l’unité orthographique s’était maintenue plus ou moins jusqu’au
milieu du XVe siècle. Par la suite la langue d’oc négligée sur la plus
grande partie du territoire d’Òc avait vu son unité graphique détruite sous l’influence
de l’orthographe française utilisée par les "patoisants". Habillée à la française,
la langue d’oc devenait méconnaissable d’un dialecte à l’autre et d’un auteur à
l’autre. Les graphies "patoises" ou "patoisantes" favorisaient ainsi l’émiettement
d’une langue défigurée. La confusion des graphies multiples des écrivains rendait
la lecture difficilement accessible à tous ; des écrivains et linguistes des XIXe
et XXe siècles – parmi lesquels deux languedociens, Prosper Estieu et
Antonin Perbosc qui fondèrent L’Escola occitana en 1919, l’abbé Joseph Roux en Limousin,
le docteur Honnorat – souhaitaient reprendre la graphie des troubadours, établissant
les lois d’une graphie pouvant s’adapter à tous les dialectes. Frédéric Mistral
fut toujours favorable à ce « retour aux sources ». Son adversaire, Roumanille,
voulait écrire à peu près comme l’on prononce dans une seule partie de la Provence.
Sa graphie félibréenne, française et rhodanienne, coupait les écrivains et locuteurs
occitans de leur prestigieux passé et ne permettait pas une intercompréhension générale.
Mistral semblait conclure et cherchait à convaincre en écrivant :
« C’est se moquer de toutes les règles, c’est vouloir transformer notre belle
langue en un affreux patois, incompréhensible pour tout autre que l’auteur »,
et, parlant d’une « perpétuelle transformation de costume », d‘une
langue revenue à l’état sauvage, il ajoutait : « Je trouve que je ne perds
rien à ma réforme, pas même l’euphonie, et j’ai l’avantage de parler dans une langue
comprise par ce moyen dans tout le Midi… Il faut, si l’on veut exister, affirmer
carrément son existence, en reprenant les traditions de notre littérature méridionale.
Il faut expulser hardiment tous les gallicismes et appliquer à nos dialectes modernes
le système orthographique des troubadours.»
1992 - 2009
L’Occitan et la Charte Européenne des Langues Régionales
Passeport pour une société multilingue
Enquêtes, rapports, polémiques, impasses… Les engagements du gouvernement
actuel sont restés lettre morte.
Ouverte à la signature des membres du Conseil de l’Europe, à Strasbourg, le 5 novembre
1992, la Charte prévoit la protection et la promotion des langues régionales et
minoritaires historiques, respectant le droit imprescriptible et universellement
reconnu de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique,
la préservation de la diversité linguistique et culturelle étant à la fois un enjeu
majeur pour les années à venir et un rempart contre la mondialisation.
Fin 2009, la France, plus d’un an après l’inscription des langues régionales dans
la Constitution, n’a toujours pas défini de cadre législatif en leur faveur. En
mars 2007 la précédente Ministre de la Culture, Christine Aubanel, avait annoncé
le dépôt d’un projet de loi pour l’automne 2008 ; mais, au nom de la centralisation
de l'État, violant la promesse de campagne du candidat Sarkozy en 2007 et en l’absence
du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, Éric Besson, actuel ministre de l’immigration
et de l’identité nationale, vient de déclarer devant les députés en séance publique
qu’il n’y aurait pas de loi sur les langues dites "régionales", car ce « serait
contraire au principe d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi »
(sic). Le 7 mai 1999 la France envisageait de ratifier la charte « dans la mesure
où elle ne visait pas à la reconnaissance et la protection des minorités, mais à
promouvoir le patrimoine linguistique européen… le Gouvernement de la République
interprétant la Charte dans un sens compatible avec le Préambule de la Constitution
». Dix ans après la France nierait donc la promotion de la diversité
culturelle et linguistique, à peine un an après avoir été pointée du doigt par l’ONU
pour la négation de ses propres minorités. Elle reste ainsi à contre courant par
rapport à d’autres pays d’Europe, où les nations historiques (comme l'Écosse, le
Pays de Galles ou la Catalogne) disposent de pouvoirs élargis en matière de promotion
linguistique, sans ingérence étatique.
Les 40 "immortels" de la sacrosainte Académie Française fondée en 1635 par le Cardinal
Richelieu (la même Académie qui décerna à Mistral quatre Prix : en 1861 pour
son œuvre "Mireille" dont on a fêté cette année le cent cinquantenaire de la première
édition, en 1884, en 1891 pour son dictionnaire de la langue d’Òc et en 1897) ont
envenimé le "débat" et pris une position inopportune et pour le moins réactionnaire
en réclamant avec arrogance le retrait du texte voté par les députés sur la reconnaissance
des langues de France appartenant à son patrimoine.
L’objectif dominant de la charte européenne est d’ordre culturel. Elle contient
une clause de non-discrimination concernant l’emploi des langues régionales mais
elle prévoit aussi des mesures leur offrant un appui actif, le but étant d’assurer
– avec un bilinguisme précoce – l’enseignement de ces langues et leur emploi dans
les médias électroniques, audiovisuels et écrits. Ainsi pourraient être compensées
les injustices, les humiliations et les conditions très défavorables réservées à
l’occitan dans le passé. Or le paysage audio-visuel ne change guère alors que France
3 est sensée contribuer à l’expression et au développement des principales langues
régionales parlées sur le territoire métropolitain (article 37 du projet de cahier
des charges).
Qu’en sera-t-il demain de l’engagement de l'État et/ou des autorités territoriales
? Les associations ont été les premières à prendre en charge la problématique
de la survie des langues régionales. Mais quelle place spécifique occupent-elles
aujourd’hui ? Quelle est leur reconnaissance ? Quels sont les moyens
dont elles disposent ? Et, problème essentiel pour leur avenir, quelle politique
en matière de formation des enseignants, de création de postes et de suivi dans
le cursus scolaire ? Devant la disparition des locuteurs de ces langues, l'État
continuera-t-il de saborder les initiatives et de perpétuer une discrimination,
au nom d’une "égalité" républicaine ?
LE FORUM DES LANGUES DE FRANCE
Patrick LAVAUD - Langon, juillet 2009
« L’accent ment moins que la parole » Jean Jacques Rousseau
« Qu’à la folie de l’Un, l’Occitanie oppose la vérité du pluriel »
Félix-Marcel Castan
Patrick Lavaud est un ami fidèle. Il a été mon collègue en tant que professionnel
de l’animation socio-culturelle à l’Institut de Technologie Michel de Montaigne,
Université de Bordeaux III, où j’ai été enseignant dès 1968 puis Maître de Conférences
jusqu’en 2004. J’ai toujours partagé son engagement pour le multilinguisme et la
dimension interculturelle, l’ouverture à "l’Autre". Il est fondateur du festival
occitan d’Eysines, des Nuits Atypiques de Langon et l’auteur d’un mémoire universitaire,
« Oralité et écriture dans la poésie de Bernard Manciet ». Il a
immédiatement accepté de s’engager à nos côtés dans cet hommage à Peiraguda.
Le Forum des Langues de France, dont les Actes seront publiés début 2010, était
placé sous les auspices de Martine Faure, députée de Gironde, Présidente à l’Assemblée
du Groupe d’études sur les langues régionales. Un espoir plus que légitime naissait
à nouveau.
Je sais que le texte et la lettre qui suivent sont d’une importance capitale, un
témoignage unique sur ce combat pour la diversité culturelle entérinée par la charte
de l’UNESCO – aboutissement d’une proposition de Lionel Jospin et d’une déclaration
favorable aux langues régionales de Jacques Chirac en 1998 – mais aussi sur la non-reconnaissance
récente par la France des langues de son propre espace et donc de l’occitan, « cette
belle langue brune et latine qu’on voulait interdire » (Joan-Pau Verdier).
Juillet 2009, le forum des langues de France
A l’initiative de Patrick Lavaud, directeur des Nuits Atypiques, s’est
tenu, à Langon, le vendredi 24 juillet 2009, un Forum des langues de France, placée
sous les auspices de Martine Faure, députée de Gironde, présidente à l’Assemblée
nationale du Groupe d’études sur les langues régionales.
Plus d’un an après la modification de la Constitution française du 23
juillet 2008, qui a permis d’inscrire dans l’article 75-1 que
« les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », ce Forum des langues de France avait pour objectif d’être un lieu d’information
et d’échange entre les différents acteurs des langues de France : gouvernement
et ministère de la culture et de la communication via la Délégation générale à la
langue française et aux langues de France, parlementaires, élus du territoire, représentants
associatifs et enseignants. Il a été l’occasion de reformuler les attentes des associations
de défense et de promotion des langues régionales et territoriales de France, des
enseignants, des élus de la République et des collectivités territoriales. La publication
début 2010 des actes du forum, qui reprend l’ensemble des communications, entend
contribuer à relancer le débat public sur les "langues régionales" et s’inscrit
pleinement dans le débat politique, parlementaire et citoyen, sur la nécessité de
transformer la reconnaissance patrimoniale des langues régionales en une vraie politique
de soutien, de promotion et de développement des langues territoriales de France.
Malgré les annonces du gouvernement concernant un projet de loi portant
sur l’enseignement, les médias, la culture, la vie publique, force est de constater
à ce jour que les promesses gouvernementales ne sont pas tenues. Depuis la nomination
de Frédéric Mitterrand, en juin 2009, Ministre de la culture et de la communication,
l’inquiétude grandit tant le nouveau ministre se fait remarquer par son désintérêt
de la question des langues régionales. A l’occasion de leur dernière réunion en
décembre, les députés du Groupe d’études sur les langues régionales ont décidé de
prendre l’initiative de rédiger une ou plusieurs propositions de loi. Face à cet
immobilisme gouvernemental, les Nuits Atypiques organiseront une seconde édition
du Forum des langues de France qui se tiendra le mardi 27 juillet à Langon.
Patrick Lavaud, directeur des Nuits Atypiques de Langon, initiateur du
Forum des langues de France
Langon le 14 décembre 2009
Lettre ouverte à Frédéric Mitterrand
de Patrick Lavaud, directeur des Nuits Atypiques de Langon, initiateur du Forum
des langues de France
Le 21 juillet 2008, le Parlement français réuni
à Versailles adoptait la modification de Constitution française dans laquelle figure
désormais que « Les langues régionales
appartiennent au patrimoine de la France »
(Article 75-1). Aboutissement d’un long processus politique qui doit beaucoup à
la ténacité de quelques parlementaires, l’intégration de ce nouvel alinéa n’est
pas allé de soi et a résulté d’un compromis entre le Sénat et l’Assemblée Nationale,
entre partisans et adversaires de la reconnaissance de la diversité linguistique
française. Au-delà des critiques légitimes quand à la formulation et à la place
de cet alinéa (caractère formel et relégation dans le titre concernant les collectivités
territoriales), la loi constitutionnelle n° 2008-724 de modernisation de la V° République
introduit un changement majeur dans l’histoire de notre pays et marque une certaine
rupture avec l’idéologie française monolingue, monarchique, jacobine et républicaine,
marquée par une volonté politique d’éradication des langues de France. La Constitution
française reconnaît désormais une évidence : l’existence d’un patrimoine linguistique
français. Dans son rapport sur « Les
langues de France » publié en
1999 et rédigé à la demande des Ministères de la Culture et de l’Education nationale,
Bernard Cerquiglini, alors directeur de l’Institut national de la langue française,
recensait ainsi pas moins de 75 langues dites
« territoriales », parlées
dans l’hexagone (occitan, basque, breton, catalan, corse, alsacien, francique, flamand,
franco-provençal, langues d’oïl) et outremer (créoles, langues amérindiennes, polynésiennes,
canaques). Cet alinéa, aussi imparfait soit-il, a fait naître, chez nos concitoyens,
de grandes espérances concernant l’affirmation d’une politique déterminée de soutien
et de promotion des langues de France.
Depuis
le 7 mai 2008, date du débat à l’Assemblée nationale sur les langues régionales,
Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, a annoncé, à maintes
reprises, un projet de loi gouvernemental pour 2009 sur l’enseignement, les médias,
la culture, la signalétique et les services publics. En préparation du débat parlementaire,
le Groupe d’études sur les langues régionales à l’Assemblée Nationale, présidée
par Martine Faure, députée de Gironde, a ainsi organisé, entre mars et juin 2009,
plusieurs auditions de représentants de l'État, des Collectivités territoriales,
du monde associatif et de la société civile.
L’organisation à Langon, dans le cadre de la 18ème
édition des Nuits Atypiques, d’un Forum sur les langues de France, en présence de
Martine Faure et de Jean-François Baldi, Délégué général adjoint de la Délégation
générale à la langue française et aux langues de France, est l’occasion de reformuler
les attentes des associations de défense et de promotion des langues régionales
et territoriales de France, des enseignants, des élus de la République et des collectivités
territoriales.
Un an après la modification constitutionnelle,
il vous appartient donc, Monsieur le Ministre, conformément aux vœux du Président
de la République et aux engagements du précédent gouvernement, de relancer ce projet
de loi tant attendu par un grand nombre de nos concitoyens de l’hexagone et de l’outre-mer.
Nous attendons tout d’abord de la loi qu’elle
marque une volonté politique réelle de soutien et de promotion des langues de France.
Nous attendons donc des engagements fermes de l'État et la définition d’une vraie
politique linguistique qui conduise au développement de la pratique et de l’usage
social et public des langues régionales et territoriales de France. La reconnaissance
patrimoniale inscrite dans la Constitution française doit donc s’accompagner de
la reconnaissance d’un statut légal des langues de France, de mesures concrètes
et de moyens financiers permettant le développement de la pratique et de l’usage
public des langues régionales et territoriales.
Nous demandons notamment que soient prises en
compte les demandes des collectivités territoriales et des associations telles qu’elles
ont été formulées notamment par la commission des langues régionales de l’Association
des Régions de France et par le collectif associatif « Pour un statut légal
des langues régionales ou territoriales de France ». Sans entrer dans le détail,
nous demandons
le développement de l’enseignement des langues
régionales ou territoriales, de l’école à l’université et une modification des programmes
scolaires et des formations universitaires, de façon à intégrer les particularités
linguistiques et culturelles dans le récit national.
le développement de l’usage social des langues
régionales ou territoriales dans les administrations, les services publics, la vie
économiques, notamment par l’instauration du bilinguisme.
le développement de l’usage des langues régionales
et territoriales dans les médias d’information et de communication.
le soutien à la création artistique et à la diffusion
culturelle d’œuvres dans les langues régionales et territoriales par une politique
adaptée en faveur notamment de l’édition, du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel.
le développement d’un environnement linguistique,
notamment par l’usage de la toponymie d’origine et la mise en place d’une signalétique
bilingue dans l’espace public.
la création d’une instance de concertation permanente
entre l'État et les Régions relative à l’élaboration d’une politique publique en
faveur des langues régionales et territoriales
le soutien à coopération transfrontalière et l’implication
internationale, notamment dans les territoires où la langue est commune à plusieurs
États.
L’adoption d’une loi doit s’accompagner d’une
volonté réelle favorisant un changement des mentalités modelées par des siècles
de mépris à l’égard des langues régionales et territoriales. Une politique linguistique
ambitieuse doit donc s’appuyer sur une information et une pédagogie adaptées en
direction des services de l'État et des collectivités territoriales, des usagers
et des citoyens en général.
La modification constitutionnelle de juillet 2008
offre une grande opportunité historique à notre pays. Il ne suffit pas de se déclarer,
partout dans le monde, pays des droits de l’homme et de la diversité culturelle.
La France a fait un grand pas en reconnaissant la richesse de son patrimoine linguistique.
Elle doit maintenant passer à l’acte (législatif) et tout faire pour soutenir et
faire vivre les langues de son territoire.
Langon, le 21 juillet 2009
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2032 - Gérard FAYOLLE et « Le Clan des Ferral »
L’écrivain historien Gérard Fayolle, ancien sénateur de la Dordogne et président
de la Société historique et archéologique de la Dordogne, est, quant à lui, inquiet
pour l’avenir de sa terre natale. Dans son roman fiction - ou "science fiction"
- il affirme combien il est viscéralement épris de ses racines. Avec lui le concept
de "patrimoine" recouvre l’architecture, le paysage, mais aussi et surtout la langue
occitane vivante, garantie de la survie d’un héritage, d’une culture, d’une identité
menacées.
Avec l'autorisation de l’auteur, nous publions un extrait dans lequel deux personnages
abordent le débat actuel autour de la langue occitane :
« Arpentant les rues de Sarlat, je me suis rendu compte que les
nouvelles concernant notre langue occitane ne me réconfortaient guère. Mais ses
défenseurs continuaient leur combat… Alors que j’étais absorbé par mes préoccupations,
j’ai rencontré le chanoine Lacépède, grand spécialiste des langues menacées…Il aimait
parler avec le libre-penseur que j’étais de la survie de l’occitan mais aussi du
français. Pour ce savant, les deux étaient logés à la même enseigne. Soucieux de
me changer les idées et de respecter mon inquiétude, il m’a entretenu sur ce point
:
Nos arrière-grands-parents se trouvaient – naturellement, pourrait-on
dire – bilingues franco-occitans, et nous, nous sommes unilingues en français !
Ce qui voue notre combat à l’échec, cher ami, c’est que le public ne pâtit aucunement
de se voir imposer par l’usage la langue anglo-saxonne. Mieux même, il souhaite
baragouiner un sabir qui n’est ni du français ni de l’anglais. Il se croit ainsi
plus savant. Il s’agit là, comme dirait le Sarladais La Boétie, d’un phénomène de
« servitude volontaire ». Nous nous prosternons sans qu’on nous y oblige
devant la langue dominante. Pour suivre une mode. Pour ne pas avoir l’air dépassé
par notre époque. Ainsi, nous nous passons nous-mêmes autour du cou une corde linguistique.
Nous nous suicidons culturellement, et avec délectation.
Pour répondre au chanoine, je n’ai pu m’empêcher de revenir à mes
préoccupations : – Notre suicide culturel sera d’autant plus rapide, monsieur
le chanoine, que nous ne serons bientôt plus que l’arrière-pays de la grande université
anglophone Préhistoria, qui sera installée à Brive ! Les mots de nos langues
maternelles disparaissent comme les peintures sur les parois des cavernes, comme
les vestiges de la préhistoire, comme d’ailleurs les espèces menacées ou les mœurs
traditionnelles…
…Sur son socle, le grand homme du Sarladais (La Boétie) semblait rêver
au temps où les Périgordins cultivés parlaient à merveille l’occitan et le français,
en respectant les deux langues au lieu de les mélanger. »
Gérard Fayolle pousse un cri d’alarme devant sa langue d’Òc en péril, mais le pessimisme
laisse place à un espoir lucide :
« …Je me suis retrouvé au sein d’une confrérie formée de membres qui se reconnaissaient
tout de suite dès qu’ils échangeaient le salut occitan. Un lien s’établissait aussitôt…
Le cercle des initiés à la langue des ancêtres, en perdant de son importance, gagnait
en force et en fraternité. En partant, je suis passé, place de la Petite-Rigaudie,
sous une banderole qui portait une citation de La Rochefoucauld : « L’accent
du pays où l’on est né demeure dans l’esprit comme dans le langage ». »
(Le clan des Ferral, Terres d’Histoires, Éditions
Sud-Ouest, 2009)
-o-o-o-
À Jean et Patrick, à Ginette et Pascal, à Jacques, François et Laurent, et… à Joan-Pau
Merci à tous de m’avoir accueilli et de m’avoir autorisé, avec la complicité et
l’aide précieuse de Sophie et Vincent, à faire ce reportage pour les trente ans
de Peiraguda à Montignac… d’abord en images (car, selon le dicton chinois, « une
image vaut dix mille mots ») et puis avec ces quelques mots qui viennent du
coeur et qui ont bien du mal à traduire l’émotion, la magie, l’alchimie, la complicité
et la connivence, tout le champ de la sensation. Seulement deux mots : « Vos
aimam ».
« Vous êtes allés à l’école de la forêt, vos modèles sont la source sur les
cailloux, la sève le long des arbres, le sang dans les veines… »
Votre poésie, vos chansons, vos musiques sont le joyau du patrimoine culturel de
notre Périgord Noir : douceur et tendresse, amitié et amour, dignité et tolérance
pour dire votre rapport au monde, la beauté de votre terre, de votre terroir, de
votre territoire, votre pays, votre paysage et tous ceux qui l’habitent, Vous chantez
« Le Temps de la Mémoire » : ce refuge des traditions du peuple,
de sa langue qui nous appartiennent et nous sont liés étroitement. Pas de regret
mélancolique du passé, pas de folklorisme réducteur et désuet, mais une nostalgie :
« revenir chez soi », retrouver et perpétuer les racines malgré tous les
« coupe-racines ». Plus de honte. Une autre façon de lutter. La Chanson
de Peiraguda sert de véritable vecteur à la reconquête culturelle et linguistique,
à la défense des réalités identitaires de notre terre d’oc.
Mon chemin a croisé le vôtre. Je suis fier et heureux de vous avoir rencontrés,
heureux d’avoir partagé avec tous les frères poètes cet inoubliable concert de vos
trente ans.
Lo desespèr n’en avètz pas
cantaretz OC & CO
doman serà coma lo vin
un pauc melhor cada matin
|
Vous n’avez pas de désespoir
vous chanterez OC & CO
demain sera comme le vin
un peu meilleur chaque matin
|
Quo’s pas acabat, los amics ! A lèu ! Rendez-vous à Sarlat !
Lo Jacme
Jacques Saraben
Paunat, le 27 décembre 2009
PEIRAGUDA
Nostalgia
avec Jean BONNEFON, Patrick Salinié, Jacques GANDON et
François PAOLI
Le vendredi 21 mai 2010
21 h - Salle Paul éluard à Sarlat |
|
Témoignages d’amis
De grands écrivains et artistes ont, à ma demande, accepté de
témoigner de leur attachement au groupe de musiciens Peiraguda qui souffle ses trente
bougies. Un grandmercés affectueux à tous : Bernard
Lesfargues, Jean-Claude Dugros, Pierre Gonthier, Jose Correa, Robert Poudérou, sans
oublier Claude Marti (qui, souffrant, n’avait pu être présent à ce concert-anniversaire).
Voici leurs bilingues hommages :
« …Òu, alai ! trenta ans que l’òm
vos agacha trevar los camins, córrer lo long dels acrins, jogar a sauta-frontièra,
lenga d’òc al bèc e guitarra a l‘espatla, trenta ans ! Lo temps de trenta vendémias
e de trenta culhidas de castanhas, lo temps que cal a una generacion d’òmes per
se complir. »
Claudi Marti, 2009
« …Hep, là bas ! trente ans qu’on
vous observe à battre les chemins, à filer le long des crêtes, à jouer à saute frontière,
langue d’oc au bec et guitare à la bretelle, trente ans ! L’espace de trente
vendanges et de trente cueillettes de châtaignes, l’espace qu’il faut à une génération
d’hommes pour s’accomplir. »
Claude Marti, 2009
Quò fai bon pauc que quò me prutz de parlar
de Peiraguda. De los de Peiraguda, aquels goiats que prenguèron un jorn, i a trente
ans, la decision de cantar lo Peirigòrd, lo lur, lo nègre, e tanben lo de las autras
colors, de lo cantar dins la lenga mairala del terrador, l'occitan. Uèi, òm pòt
se demandar çò que siriá nòstre Peirigòrd si i aviá pas aquelas votz, aquelas guitarras,
aquelas paraulas per nos dire e per dire al monde tot lo plaser, e per de que pas
lo bonur, de viure sus aquesta tèrra rufa e mofla a l'encòp. Quand lo cèl s'encrumís,
escotatz un CD de Peiraguda e veiretz, o vos asseguri, miracle! veiretz las nivols
s'esvanir. Vòstre còr se botarà a tustar un pauc mai fòrt e benlèu diretz "per mon
arma! aquels dròlles vos farián dansar las quitas monjas d'un monastièr". A la glòria
del bon Dieu, queraque, a mai que mai a la glòria del Peirigòrd.
Bernat Lesfargues, 2009
Voilà longtemps que ça me démange de parler
de Peiraguda. De ceux de Peiraguda, ces garçons qui un jour, il y a trente ans,
ont pris la décision de chanter le Périgord, le leur, le noir, et aussi celui des
autres couleurs, et de le chanter dans la langue-mère du terroir : l’occitan.
Aujourd’hui, on peut se demander ce qu’il en serait de notre Périgord s’il n’y avait
pas ces voix, ces guitares, ces mots pour nous dire te dire au monde entier le plaisir,
et pourquoi pas le bonheur, de vivre sur cette terre à la fois rude et tendre. Quand
le ciel devient noir, écoutez un CD de Peiraguda, et vous verrez, je vous assure,
ô miracle, vous verrez les nuées se dissiper. Votre cœur se mettra à battre un peu
plus fort et peut-être direz-vous « nom de nom ! ces drôles sont capables
de faire danser jusqu’aux sœurs d’un couvent ». A la gloire de Dieu, bien sûr,
mais surtout à la gloire du Périgord.
Bernard Lesfargues, 2009 (texte occitan et texte
français de l’auteur)
Peiraguda fai partida de la generacion de
mai 68. Dins las annadas seissanta-dètz, la nòva cançon occitana se fai auvir, mas
tanben un nòu teatre, engatjats tots dos, que parlan dels problèmas economics e
socials que travèrsan la societat en país d’òc. Aquò’s lo temps de Volem viure al
pais, los grands recampaments sul Larzac, las primièras Calandretas.
Aquò’s la generacion de Claudi Marti, Mans
de Breish, Rosina de Pèira e tanben Los de Nadau, que vendràn pus tard Nadau. Mas
perqué cantar en occitan ? Aquò’s una question de subrevita. Lo lectorat dels
escrivans d’òc es rar, lo pòble occitanofòn sap pas legir sa langue. Pauc parlada
dins las familhas e puei pas mai transmesa per elas, es fòrabandida dins lo campèstre.
Un sentiment de vergonha, tot entièr dins lo pòble, limita l’usatge public. La lenga
vai s’embarrar dins lo folclòr.
Laidonc òm la canta, sa lenga. E trenta ans
après, òm la canta sempre, e Peiraguda es totjorn viu. Aquò’s remirable. I aviá
belcòp d’emocion demest lo milierat de personas presentas aquel l7 d’abril 2009
a Montinhac per festejar aquel anniversari. Joan-Pau Verdier èra aquí, fisèl amic
de totjorn. I aviá tanben Ian de Nadau, vengut de son Bearn natal. Claudi Marti,
malaut, èra excusat. E tot aquel brave monde cantava la lenga nòstra !
Un delici per los uèlhs e per lo còr.
Joan-Claudi Dugros, majoral del Felibrige, 2009
Peiraguda fait partie de la génération de
mai 68. Dans les années soixante-dix, la nouvelle chanson occitane se fait entendre,
au même titre qu’un nouveau théâtre, engagés tous les deux, qui abordent les problèmes
économiques et sociaux qui traversent la société en pays d’oc. C’est l’époque de
Volem viure al pais, les grands rassemblements sur le Larzac, les premières Calandretas.
C’est la génération de Claude Marti, Mans
de Breish, Rosina de Peira et aussi Los de Nadau, devenus plus tard Nadau. Mais
pourquoi chanter en occitan ? C’est une question de survie. Le lectorat des
écrivains d’oc est rare, la population occitanophone ne sait pas lire sa langue.
Peu parlée dans les familles et d’ailleurs plus transmise par elles, elle est reléguée
dans le milieu rural. Un sentiment de vergonha (de honte), global dans la population,
limite l’utilisation publique. La langue connaît un enfermement dans le folklore.
Alors on la chante, sa langue. Et trente ans
après, on la chante toujours, et Peiraguda est toujours vivant. C’est remarquable.
Il y avait beaucoup d’émotion parmi les mille personnes présentes le 17 avril 2009
à Montignac pour fêter cet anniversaire. Joan-Pau Verdier était là, fidèle ami de
toujours. Il y avait aussi Yan de Nadau, venu de son Béarn natal. Claude Marti,
souffrant, était excusé. Et tout ce beau monde chantait nostra lenga (notre langue)
!
Un régal pour les yeux et pour le cœur.
Joan-Claudi Dugros, Majoral du Félibrige, 2009.
Peiraguda
Un trobador se’n vai cap a l’orizont que vei
e lo vent d’en çò nòstre li rauba sas paraulas.
Una musica cor sus las civadas fòlas e clantisson los esclòps dins los camins tindaires.
L’accordeon jòga al petit bal d’ivern una ricancoina qu’òm tòrna dire a l’aurelha
de las dròllas.
E nos arriba d’unes còps de velhadas fòrt ancianas e de duras sasons un vièlh cant
de revòlta
Lo temps d’avant tòrna que canta Peiraguda nos dire risolièr la dignitat dels òmes
Perqué voldriatz que ne’n aguèssi pas enquera de bonaür ?
Pèire Gonthier, estiu 2009
Un troubadour s’en va vers l’horizon qu’il
voit et le vent de chez nous lui vole ses paroles.
Une musique court sur les avoines folles et claquent les sabots dans les chemins
sonores.
L’accordéon joue au petit bal d’hiver un refrain qu’on redit à l’oreille des filles.
Et nous parvient parfois de veillées très anciennes et de dures saisons un vieux
chant de révolte
Le temps d’avant revient que chante Peiraguda nous dire en souriant la dignité des
hommes
Pourquoi voudriez-vous que je n’en ai pas encore du bonheur ?
Pierre Gonthier, été 2009
Tota lenga a son cant e son mistèri. E per
çò qu’es de l’occitan que es ben una lenga ? Son cant es aquel que a la facultat
de botar un sorire dins nòstra votz e d’exprimir la doçor de viure dins nòstre ranvèrs.
Son mistèri es dins lo poder que a de portar
a nòstras aurelhas, amb mai de calor umana e de poesia, los contes de las velhadas
d’autres còps.
L’occitan es pas un convit a una retirada
identitària mas a tornar préner suausament lo camin de nòstras originas per fin
de tornar balhar sa plaça a la cultura regionala de nòstres ancians.
Atal l’occitan parla a nòstra arma.
Robèrt Pouderou, 2009
Toute langue a son chant et son mystère. Qu’en
est-il de l’occitan qui est bien une langue ? Son chant est celui qui a la
faculté de mettre un sourire dans notre voix et d’exprimer la douceur de vivre dans
notre région.
Son mystère est dans le pouvoir qu’elle a
de porter à nos oreilles, avec plus de chaleur humaine et de poésie, les contes
des veillées d’autrefois.
L’occitan n’est pas une invitation à un repli
identitaire mais à reprendre sereinement le chemin de nos origines afin de redonner
sa place à la culture régionale de nos anciens.
Ainsi l’occitan parle à notre âme.
Robert Pouderou, 2009
Los vents de la West coast
an bufat sul País d’Òc.
E los jovenasses a l’energia
"passejadissa", guitarras e votz
en bandolièra pantaissan los uèlhs
ben obèrts, d’un Perigòrd nòu.
Tornar conquistar un territòri,
armats
d’Amor e de nostalgia.
ÒC and CO on the road…
Filhs de rius e de bòsc negres,
lor Musica a patinat
las pèiras e las memòrias.
"Lo temps de la memòria"
Aquò era ièr…
La rumor ditz 30 ans…
Peiraguda
Acabatz d’intrar !
José Corréa Automne 2008
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Les vents de la West coast
ont soufflé sur le Pays d’Oc.
Et les p’tits gars à l’énergie
"baladeuse", guitares et voix
en bandoulière rêvent les yeux
bien ouverts, d’un Périgord nouveau.
Reconquérir un territoire, armés
d’Amour et de nostalgie.
OC and CO on the road…
Fils de rivières et de bois noirs,
leur Musique a patiné
les pierres et les mémoires.
"Lo temps de la memòria"
C’était hier…
La rumeur dit 30 ans…
Peiraguda
Finissez d’entrer !
José Corréa Automne 2008
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Remerciements :
Toutes les photographies du concert de Peiraguda le 17 avril 2009 à Montignac
et les portraits de figures occitanes qui illustrent cet article sont signés Jacques
Saraben, dessinateur, peintre et photographe qui nous autorise ici à les publier.
Version occitane
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