ON NE VOIT BIEN QU’AVEC LE CŒUR
par Jacques Saraben
« Notre connaissance dépend d'une réminiscence » (Platon) « La seule chose qui nous
importe est la progression de la connaissance et pour ce faire la qualité de la
recherche, d’où qu’elle vienne. » (Yves Coppens)
Dans son film LE DERNIER PAYSAN PRÉHISTORIEN, Sophie CATTOIRE va à la rencontre
de Gilbert Pémendrant, « joine païsan » de 76 ans, propriétaire de la grotte de
Bernifal en Périgord Noir, et de ses ancêtres-artistes du Paléolithique supérieur
qui ont habité sa terre il y a près de 20000 ans.
Gilbert a l’humilité, l’humour et l’intelligence de ses aïeux qui n’osaient plus
parler « oc » il y a cent ans. À travers lui se perpétue l’amour du labeur et du
travail bien fait, au rythme du cosmos. Un film éblouissant et tendre sur le rapport
à l’art des ténèbres qu'entretiennent chacun à leur façon ce bel homme, la cinéaste grand reporter Sophie Cattoire
et les chercheurs en préhistoire. On partage l’émerveillement du grand chasseur artiste magdalénien
face à son œuvre. Comme en écho, à des années lumière, on perçoit cette
étincelle traversant l'esprit de Gilbert découvrant sans cesse par le regard la
vérité du sensible. On ressent aussi une « présence » que l’on serait bien en peine d’expliquer.
Tout cela est filmé par une artiste qui, comme Cézanne, préfère la logique des sens
à « la logique du cerveau ». La rigueur du commentaire et les dialogues évitent
toute vérité assenée, les plans et les cadrages sont beaux, la lumière sublime,
et la musique folk choisie en parfaite osmose avec ce
chef-d’œuvre de sensibilité. Un film « esthétique » au sens étymologique
du mot « qui génère des sensations »
et fait jaillir le « Ah !... » des Extrême-Orientaux.
Tous nos sens aux aguets, nous comprenons sans nul besoin de les nommer les sens
cachés. Équivoque de l’image, vraisemblance
qui trompe l’œil, puissance évocatrice des formes.
Gilbert, tout comme l’Abbé Breuil, Alain Roussot, André Leroy-Gourhan ou Norbert Aujoulat, a bien
saisi que les artistes de Bernifal accueillaient les accidents, les aspérités, les
traits et couleurs toutes nues de la roche, quitte à leur reconnaître plus tard
une signification ou à leur donner un nouveau « visage ». Le réel est ce que l’on
n’attendait pas et l’abstraction n’est pas un parti pris moderne. Gilbert, toujours
à l’affût, semble nous dire : « Attendez-vous toujours à l’imprévu !». Le
seul interdit est d’aller déranger les morts. Gilbert vivant, le
sanctuaire restera intact.
Sophie Cattoire nous fait
frissonner devant la splendeur du paysage, la splendeur de ce merveilleux
paysan, de la nature et des animaux qui l'entourent. L’image parle. La poésie opère. Magie du lieu,
du sanctuaire « habité » et revisité avec la connivence des auteurs-acteurs du film.
J’aime entendre
Norbert Aujoulat parler de Mircea Eliade, du mythe qui nous projette vers
le Grand Temps, le Temps Sacré. Et aussi, tout au long du film, savourer sensations à l’état
pur et beauté, devenues suspectes pour les tenants d’un art contemporain ou post-moderne
en perte de racines et dominé par le primat du concept.
Merci Sophie. On ne voit bien qu’avec le cœur. Ce 3 avril
2011, tu as su partager ta passion et la salle comble du P.I.P. t’a dit sa sincère
admiration.
Jacques Saraben, artiste peintre, Maître de Conférences
Lire aussi la chronique de Jean Bonnefon, journaliste, fondateur de France Bleu
Périgord.
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