LA FERRASSIE A-T-ELLE CONSERVÉ LA DATE DU BAIL DE SES PREMIERS LOCATAIRES ?
Une question cruciale était posée qui ne pourrait, ce jour-là, se résoudre qu'à
coup de pelle, mais rien n'était gagné. Quelques coups de pelle plus tard donc,
et, en fin de matinée, l'angoisse cède la place à l'euphorie.
Oui ! Il reste des couches archéologiques en place, non remaniées par les fouilles Peyrony
menées il y a un siècle, et elles sont bien à l'endroit où furent trouvés les deux
premiers squelettes, la Ferrassie 1 et La Ferrassie 2, supposés être un homme et une
femme, bien que cela reste à prouver.
Oui ! Il est donc possible de faire des prélèvements afin de dater ces sédiments
qui nous donneront enfin une idée sérieuse du moment où ces personnes furent inhumées.
En clair, grâce à la reprise des fouilles ce 21 juin 2010, La Ferrassie ne va plus
pouvoir très longtemps tricher sur son âge, ce qui risque de bouleverser une bonne
partie des théories sur l'histoire de l'humanité.
LES DATES PEUVENT TOUT CHANGER
Les dates, c'est important. Imaginez que Jésus soit né non pas il y a 2010 ans mais
il y a 50 000 ans, que resterait-il aujourd'hui de Lourdes, du Pape et de l'Immaculée
Conception ? Oui, les dates, ça compte, et ça peut modifier le scénario de
nos origines, radicalement.
Les fouilles de Denis
Peyrony au début du XXe siècle avaient certes livré une foison
tout-à-fait exceptionnelle de squelettes néandertaliens, six au total, complétée
par un septième découvert par Henri Delporte dans les années 70, plaçant ce gisement
au deuxième rang mondial derrière Shanidar au Kurdistan. Mais, faute de documentation
pour identifier les couches archéologiques où reposaient ces gens, et en raison
des limites de recul dans le temps des datations au carbone 14, par défaut donc,
on en était resté à 35 000 ans.
Grâce à la découverte majeure, faite en ce premier jour de l'été 2010, d'une partie
significative des couches archéologiques moustériennes demeurées intactes, le voyage
entrepris par l'équipe de scientifiques codirigée par Alain Turq et Harold Dibble depuis la station
préhistorique de La Ferrassie, en Dordogne, nous fera certainement remonter beaucoup
plus loin dans le temps.
Ces nouvelles données risquent de constituer une onde de choc dans notre perception
de l'histoire de l'humanité. Si le geste d'enterrer ses morts était apparu finalement
plus tôt en Périgord ou à la même époque qu'au Proche Orient, qui détient à ce jour
le record d'ancienneté, alors il nous faudrait remettre en cause certaines idées
sur l'évolution des cultures et le mouvement des populations humaines les plus anciennes.
Car nos théories en la matière manquent encore cruellement de données. Rappelons
que seules 40 sépultures néandertaliennes ont à ce jour été retrouvées au monde,
dont sept à La Ferrassie dont on ignore encore l'âge. Nous n'en sommes qu'au tout
début d'un très long chemin. Il n'y a que 200 ans que
la question de nos origines est ouvertement posée, sans risquer l'excommunication
ou le bûcher.
DE NOUVELLES MÉTHODES DE DATATION BASÉES SUR LA RADIOACTIVITÉ
En un siècle, les méthodes de datations ont progressé. À présent on peut remonter
bien plus loin que 35 000 ans et ce notamment grâce à la mesure de la radioactivité
accumulée sous terre par certains éléments. Le quartz est un bon indicateur. Voilà
l'idée : à l'aide de dosimètres, on mesure la radioactivité ambiante de l'endroit
concerné. On prélève des fragments de quartz dans les couches en place et on mesure
leur degré de radioactivité. Celui-ci révèle le temps depuis lequel il est exposé
à cette radioactivité. En fait on sait remettre les compteurs à zéro en exposant
ce quartz d'un coup à la chaleur (300°) ou à la lumière (laser). Le différentiel
entre ce zéro et la mesure précédente donne la durée de son séjour sous terre.
DES HOMMES, DES OUTILS ET DES GROTTES
Grâce à leurs mesures et à leurs prélèvements, les scientifiques vont donc pouvoir
procéder à de nouvelles datations. Mais ce n'est pas tout. Ils vont mettre sur pied
une nouvelle campagne de fouilles pour rechercher des outils en silex taillés très
anciens qu'ils ont identifiés dans le secteur, notamment certains bifaces moustériens
étonnamment anciens, se rapportant à une culture méconnue en Périgord.
Et puis, bien sûr, dans cette fameuse nécropole des hommes et des femmes de Néandertal
nommée La Ferrassie, il n'est pas impossible qu'ils découvrent d'autres sépultures,
même si ce n'est pas l'objectif premier de ces recherches.
Enfin, Alain Turq aimerait engager une étude géologique du vallon pour mieux comprendre
comment les cavités et les abris habitées par l'homme se sont formés par ici. Cette
fois-ci ce sera la technique du géoradar, sorte d'échographie des sous-sols, qui
sera mise à l'œuvre pour visualiser l'invisible, sans avoir besoin de creuser.
Car il faut bien dire que la genèse du dédale du gruyère karstique souterrain du
Périgord reste un bien beau mystère.
Sophie Cattoire
Nous remercions l'ensemble des scientifiques et des étudiants qui nous ont accueillis
sur ce chantier de fouilles aux abords du gisement préhistorique de La Ferrassie
du 21 au 26 juin 2010.
Nous remercions notamment Magen O'Farrell, archéologue, Bastien Chadelle,
étudiant en géologie, Véra Aldeias, étudiante en micromorphologie, Stéphanie Douieb,
guide au Musée National de Préhistoire, qui ont participé au sondage et au tamisage
des déblais et qui ont assuré la sécurité et la protection du site d'un bout à l'autre
de l'opération.
Cette opération de sondage préliminaire et le chantier de fouilles qui sera programmé
pour les années à venir sont placés sous la responsabilité d'un collectif international
de scientifiques où l'on retrouve Alain Turq, préhistorien, conservateur
au Musée National de Préhistoire, Bruno Maureille, anthropologue, directeur du Laboratoire
des Populations du Passé à l'Université de Bordeaux I et leurs éminents
collègues américains, les préhistoriens Harold Dibble, professeur à l'Université
de Pennsylvanie, Shannon Mac Pherron, professeur au Max Planck Institute à Leipzig,
Dennis Sandgathe,
professeur à l'Université Simon Fraser de Vancouver et le géologue
Paul Goldberg,
professeur à l'Université de Boston.
D'autres disciplines seront mises à contribution pour réaliser l'ensemble de l'opération
qui couvrira donc tout à la fois l'étude de l'industrie lithique contemporaine des
couches les plus anciennes, l'anthropologie des restes humains déjà exhumés ou en
passe de l'être et l'étude géologique approfondie du vallon de La Ferrassie.
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