L'ENFANT ET LA PARURE AUX MILLES PERLES
« Dis, toi, tu me prends dans tes bras ? »
Un comédien aux longs cheveux noirs, doté de la noblesse de traits d'un grand chef
indien, nous parle en lieu et place d'un enfant disparu il y a 10 000 ans. L'enfant
de la Madeleine, gisement situé à Tursac en Dordogne. Cécile Gizardin, conférencière,
nous permet d'aller à sa rencontre :
« L'enfant de la Madeleine a été retrouvé allongé sur le dos, au fond d'une
fosse aménagée au sein même de l'habitat. Lorsque Denis Peyrony a fouillé cette
sépulture, en 1926, il a découvert à chacune des articulations : chevilles, genoux,
hanches, poignets, coudes, et sur la calotte crânienne, des perles cousues sur le
vêtement de peau de cet enfant. Il y en avait plus de mille. Associées à ces perles
faites de coquillages ; dentales, turritelles, néritines, d'autres éléments de parure
furent retrouvés comme une canine de renard, une phalange de lapin et une vertèbre de
truite. »
Et Fandor, le comédien, de poursuivre :
« J'ai peur du rhinocéros, je n'ai pas peur du renne. Quand je serai grand,
je grimperai sur son dos et il viendra lorsque je l'appellerai. Et le mien, je le
tuerai pas pour le manger, je chasserai le mammouth avec et il m’emmènera jusqu'aux
étoiles ! »
Alors le silence se fait. Tous les visiteurs sont plongés dans leurs pensées, recueillis,
transportés.
Grâce à leurs évocations préhistoriques et poétiques
juxtaposées, les collections
du Musée prennent vie, là, sous nos yeux, stimulant nos imaginaires et nos
mémoires d'Homo sapiens.
LA DÉCOUVERTE DE L'HOMME DE CRO MAGNON
Face à la canine d'un lion des cavernes dont la racine a été incisée pour créer
une gorge de sustentation et donc un pendentif, et plus encore face à un bracelet
fait à partir d'ivoire de mammouth, Claude Fosse, Solange à la scène, tombe en arrêt :
« Dis, Jean-Paul, tu m'achètes ce bracelet ? »
Elle le désigne du doigt et ses yeux brillent :
« Mais bien sûr Solange, et je paie avec quoi ? Carte bancaire ou espèces ? »
Deux phrases banales et nous voilà de retour dans notre monde moderne, où tout
s'achète, tout se vend, où la valeur centrale est l'argent. Ce dialogue, drôle, acerbe, taquin,
s’instaure entre les deux comédiens tout au long du parcours. Depuis les traces
de mains, de pieds chaussés, jusqu'au foyer, celui autour duquel on raconte des
histoires, en passant par les sépultures et les parures associées aux défunts, c'est toute la vie
des hommes de Cro Magnon qui nous est livrée par petites touches expertes et sensibles.
Ces hommes de Cro Magnon dont on accepta l'existence il n'y a pas si longtemps,
précisément ici aux Eyzies, comme le rappelle en fin de visite Cécile Gizardin :
« Vous voyez ici la reconstitution d'un homme de Cro Magnon, un Homo
sapiens comme
vous et moi, comme l'ensemble des individus qui peuplent la Terre à l'heure actuelle.
Cet homme de Cro Magnon a été découvert ici, aux Eyzies-de-Tayac, à peine à 800
mètres de vous, sous la même ligne d'abri en longeant l'abrupt. On a retrouvé sous
cet abri pas moins de cinq individus : trois hommes, une femme et un jeune enfant,
tous inhumés. Pour la première fois, en 1868, on découvrait dans des couches archéologiques
des restes d'hommes modernes mêlés à des ossements d'animaux disparus de nos jours
ou ne vivant plus du tout sous les mêmes latitudes. C'était apporter définitivement
les preuves de notre Haute Antiquité, la preuve de l’existence d'un homme antédiluvien. »
Chacun reste fasciné face à la dermoplastie de cet homme de Cro Magnon réalisée
par Élisabeth Daynès avec ce talent unique que cette artiste a su développer pour
restituer la vie et le caractère même de chaque individu.
Et Claude Brun de conclure ainsi ce beau voyage :
« Une statue, une peinture, un mégalithe nous disent ce que font les hommes
une fois nourris, vêtus, chauffés. Pourquoi ? Peut-être pour supporter d'être hommes.
Les castors font des barrages, les écureuils, les hamsters, des provisions, les
insectes, des maisons, mais l'homme en plus s'invente des règles et des jeux, s'invente
des règles du jeu. Ce qui est défendu, les lois, les interdits, les morales, et ce
qui fait plaisir. Les arts nous définissent parmi les êtres vivants. Décider que
ceci est mal, estimer que ceci est beau, voilà plus que le rire, le propre de l'homme. »
Sophie Cattoire
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