PRÉHISTORIQUE INVESTIGATION POLICIÈRE
Ainsi donc, PIP ne signifie plus, cet été, Pôle international de la Préhistoire.
Ce lieu de "préhistorique investigation policière" mériterait plutôt d'être ceint
d'un ruban plastique fluo comme on en voit, à l'écran, dans tout bon thriller. Attention,
il y a 7 400 ans, deux filles ont été massacrées, peut-être torturées et ensevelies
de façon rituelle sous des bois de renne, tandis que leurs corps étaient parés de
bijoux et de coquillages rappelant les squelettes magdaléniens du Musée national
de Préhistoire voisin. Celui-ci, justement, s'est associé à l’enquête en donnant
à voir en exclusivité, parmi ses collections permanentes, quatre étonnantes sépultures
notamment charentaise et picarde de la même période du Mésolithique, dont l'une
avec des trophées bovins.
L'obscurité des mobiles et circonstances de ce double meurtre en bord de mer à Quiberon
se double de celle de ces temps sauvages que ne borne aucun sécurisant repère de
frontière culturelle : bifaces acheuléens, feuilles de laurier solutréennes, gravures
aziliennes, et on en passe. Là, c'est le brouillard épais d'une humanité qui se
cherche, entre Paléolithique et Néolithique. Dans ce Mésolithique cher à la vallée
de la Lémance, les sauvages aurochs de la grotte de Teyjat attendent depuis très
longtemps déjà les bœufs gras que garderont les futurs éleveurs sédentaires.
IL Y A UNE VIE AVANT LA MORT
L'univers de ces deux victimes énigmatiques n'était pas encore, comme aujourd'hui,
insulaire. Téviec était sur une presqu'île. Le couple, deux femmes on est quasiment
convaincu, est longtemps resté muré dans son tombeau de silence, après cinq coups
violents d'objet contondant à l'arrière-crâne pour l'une, et un coup de flèche dans
la région de l’œil pour l'autre. Ce n'est qu'en 1928 que leur solitude éternelle
aura été violée. Leur sépulture s'est retrouvée dans la grande galerie de Préhistoire
du Muséum de Toulouse, fier des noms de Carthaillac, Piette, Bégouën, etc. Le musée
a profité de sa longue et récente période de réfection, pour monter cette pertinente
expo. L'auteur de ces lignes se rappelle avoir enfant, lors d'une visite familiale,
reçu l'interdiction formelle de regarder ces ossements, pour "éviter d'être choqué".
Cette expédition "Enquête", avec aux Eyzies présence des deux squelettes authentiques
prélevés sur la présentation originelle faite au Palais de la découverte à Paris
(où elle se poursuit) constitue une fantastique invitation à chercher comment pouvaient
vivre ces deux femmes, quel âge était le leur, quelles raisons peuvent expliquer
leur mort si violente, pourquoi sont elles ensevelies côte à côte, à quels rites
correspond la décoration de leur tombe ?
À VOUS DE LA FAIRE RENAÎTRE
Invité à répondre à un questionnaire détaillé et à tester ses connaissances, le
visiteur transformé en Sherlock Holmes archéologue devient un acteur des deux expositions
jumelées. C'est sans doute ce qui illustre le mieux la nécessaire interactivité
d'un musée moderne. La visite traditionnelle se mue alors en parcours initiatique
à la recherche d'une vérité passée, qui peut d'ailleurs interpeller le présent :
y avait-il autant de violence jadis qu'aujourd'hui ?
Le cas de Téviec où une violence barbare a sévi au sein d'une population littorale
vivant surtout de pêche et de collecte des fruits de la mer, donne à penser que
le Mésolithique n'était pas forcément un long fleuve tranquille. Pourtant, une thèse
connue voudrait que la violence se soit surtout développée au Néolithique, lorsque
les sédentaires ont commencé à vouloir protéger leurs silos et leurs biens.
La réponse revient pour une bonne part à des intervenants comme Henry Duday, grand
spécialiste d'archéologie funéraire, fort entre autres de l'expérience de la sépulture
mésolithique de Bonifacio. Mais elle est surtout entre les mains des visiteurs dont
le vade-mecum "Double meurtre à Téviec" aux fines interrogations, porte en exergue
cette parole de Confucius : « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche
à comprendre les questions ».
Alain Bernard
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