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L’ART RUPESTRE AU SAHARA
LE DÉSERT DU TASSILI VICTIME DU MIRAGE DE L’ATLANTIDE

L’art rupestre préhistorique, présent sur tous les continents, tapi au fond des cavernes ou rayonnant à flanc de rocher, témoigne de cultures oubliées, révélées par ces précieuses traces qui stimulent notre imaginaire à la façon d'un lexique que nous pourrions décrypter. Le piège c'est que parfois de mauvaises clefs semblent parvenir à ouvrir ces étranges portes...
Jean-Loïc Le Quellec*, anthropologue, ethnologue et préhistorien, a ainsi « mis au jour » la façon dont les Occidentaux ont calqué, au siècle dernier, leurs mythologies propres sur les parois d’abris rocheux du désert de Tassili, en Afrique du Nord, en y voyant essentiellement ce qu’ils avaient envie d’y voir.
Un biais interprétatif assez classique qui conduisit en l'occurrence l'abbé Breuil en personne à voir sur les parois rocheuses du Tassili, où il n'est jamais allé, une Dame Blanche en lieu et place d'un homme noir. Chercheur doué d'un esprit critique notoire, Jean-Loïc Le Quellec est parvenu à reconstituer cette histoire, patiemment, méthodiquement, bénéficiant du corpus complet des évènements passés :
  « Avec le recul il est plus facile de déceler, au-delà des faits, les présupposés idéologiques qui ont pu faire levier, précise-t-il. C’est plus facile de regarder ce qui s’est passé il y a cinquante ans pour s’apercevoir qu’en définitive, en croyant faire de la science, nos prédécesseurs ont fait de la mythologie. »


UN PAVÉ DANS LE SABLE

Comment savoir avant l'écriture la façon dont les hommes vivaient sur Terre ? L’art rupestre préhistorique, sorte de grand livre illustré, nous fascine car il comporte de précieux indices à ce sujet. Pour autant la prudence est de mise car il s'agit d'un langage codé, symbolique, où par définition, toute chose peut en représenter une autre. Autre difficulté majeure, la tentation d’y voir ce qu’on a envie d’y trouver. Une dérive qui a toujours existé. Elle a parfois atteint des sommets. C’est une mésaventure interprétative de ce type que Jean-Loïc Le Quellec est parvenu à reconstituer.
Voici toute l’histoire. Accrochez-vous, elle est assez rocambolesque et se déroule à différents endroits à la fois. Soyez bien attentifs, vous en serez récompensés. C'est une enquête superbement menée. Elle a l'étoffe d'une fable des plus instructives.

SOUS LE SABLE, L’ATLANTIDE...

En 1932 à Strasbourg, un jeune homme romantique, Charles Brenans, va au cinéma voir « L’Atlantide », le film de Georg Wilhem Pabst adapté du best-seller de Pierre Benoit. Ce livre qui a marqué toute une génération reprend le thème de l’Atlantide, île mystérieuse peuplée d’une très ancienne civilisation, réputée engloutie sous l'océan. Un mythe imaginé à l’origine par le philosophe grec, Platon. Curieusement, l’Atlantide de Pierre Benoit n’a pas sombré sous les mers mais s’est trouvée submergée par les sables du Sahara. En plein désert, donc, la troublante Antinéa, reine de l’Atlantide, retient prisonniers deux officiers français dont l’un parvient à s’enfuir. De retour auprès de son bataillon dans un Fort militaire d’Afrique du Nord, le lieutenant Saint-Avit raconte comment la belle et cruelle Antinéa lui ordonna de tuer son compagnon d’arme, le capitaine Morange. Le lendemain de son récit, Saint-Avit disparait... Ce film qui exacerbe la sensualité de l'actrice Brigitte Helm impressionne beaucoup Charles Brenans. Cette projection le conduira vers le désert, irrépressiblement. Malheureusement il ne choisira pas le bon costume.

LA PRÉHISTOIRE EN SOUTANE, OUI, EN UNIFORME, NON !

Pendant ce temps-là, l’abbé Breuil, le pape de la préhistoire mondialement reconnu, est invité à Alger par Maurice Reygasse, conservateur du Musée du Bardo, pour expertiser différentes pièces archéologiques découvertes dans le désert.
L’année suivante, on retrouve Charles Brenans à dos de dromadaire au milieu des sables car il est devenu lieutenant méhariste en poste en Afrique du Nord. Il est chargé de missions de reconnaissance dans la région de Djanet, au Sud de l’Algérie. Son travail consiste à établir des cartes du pays. Il découvre fortuitement des peintures rupestres sur les parois d’abris naturels de la vallée de Wadi Djerat. Il dessine des relevés et les amène à Maurice Reygasse, le conservateur du musée d’Alger.
« Quel dommage que ce soit un militaire qui ait découvert ces trésors archéologiques ! » se dit alors le conservateur de musée. Il décide pour y remédier d’organiser une mission scientifique sans Charles Brenans, l’inventeur des découvertes, lui préférant Louis-Pierre Rigal, peintre académique français, imprégné d’un style mythologico-champêtre à la mode de Paris ethabilité de par sa formation à saisir tout motif à main levée. Louis-Pierre Rigal sera le premier peintre professionnel employé pour faire des copies d’art rupestre. Ces relevés seront publiés par Maurice Reygasse en 1935, interprétés à sa manière grâce à des titres du style :

« Groupe de femmes stéatopyges** à affinités sud africaines ».

Surprenant en pleine Afrique du Nord. Mais, continuons...

Charles Brenans de son côté continue à explorer le Tassili, tout seul. Il recopie tout ce qu’il voit au crayon de couleur. Il a pour guide le touareg Machar Jebrine ag Mohamed qui connaît parfaitement bien le secteur.

À la même période, un autre militaire qui navigue dans le même désert, le Capitaine La Rumeur, tombe sur un site archéologique extraordinaire où il ramasse de nombreux vestiges qu’il offre à l’abbé Breuil, pour expertise.
L’abbé Breuil décide d’envoyer l’un de ces disciples sur place. Henri Lhote arrive à Djanet où il rencontre forcément le lieutenant Brenans qui lui explique avoir trouvé beaucoup de peintures et le conduit sur les sites d’art rupestre du Tassili qu’il a déjà repérés.
La même semaine, Charles Brenans, qui n’a pas envie d’être une nouvelle fois oublié par l’Histoire, signe tous ses dessins et les envoie à l’abbé Breuil. L’abbé décide de les publier, mais demande d’abord à son ami préhistorien le chanoine Jean Bouyssonnie de tous les redessiner en noir et blanc...
L’abbé Breuil présente les copies de Jean Bouyssonnie au Congrès Panafricain de 1952 et les publie en 1954, préfacés d’une contribution de 154 pages qui deviendra le texte fondateur sur la foi duquel l’Occident se fera une idée de l’art rupestre au Sahara.

DE LOIN, ON SE COMPREND MOINS BIEN...

L’abbé Breuil, né en 1887, est alors âgé de 77 ans. Il a passé sa vie a étudier et à faire connaître l’art des cavernes et des abris rocheux. Il est la référence mondiale incontestée. Ce que souligne Jean-Loïc le Quellec c’est que, d’une part,l’abbé n’a jamais pu aller voir lui-même les œuvres du Tassili et que, d’autre part, il a parfois séparé des images regroupées à l’origine sur la même paroi. De plus, ajoute le chercheur, en leur donnant des titres, il les a interprétées d’une manière toute personnelle :

« Joséphine vendue par ses sœurs »
« Un affreux diable rouge vif »
« Voyageur pacifique armé d’un arc »

Certes, c’est lui qui a su reconnaître un style très particulier, celui des « Têtes rondes » qui semble être le plus ancien du Tassili. Par ailleurs, l’abbé Breuil avait bien l’intention d’organiser une mission au Tassili avec son disciple Henri Lhote et avec Charles Brenans, mais ce dernier, décidément bien malchanceux, fut terrassé par une crise cardiaque juste avant.
Finalement, en 1956, Henri Lhote part seul sur place. Il procède à de nombreux relevés sur papier calque. L’abbé Breuil et Miss Boyle, sa secrétaire, avaient mis au point leur méthode de relevés précédemment, en Afrique Australe. Ils relevaient ensemble les contours des fresques sur calque puis l’abbé les mettait en couleur, à l’aquarelle ou à la gouache, de retour à l’atelier.
Henri Lhote emmène des peintres de Montmartre pour l’aider. Par souci de fidélité, il choisit de faire mettre en couleur les calques sur place, aussitôt le contour relevé. Mais les artistes sont confrontés à un problème technique : les figures sont ténues, peu contrastée, bien difficiles à déchiffrer sur les parois. Ils décident de les mouiller pour les faire ressortir. Lorsque cela ne suffit pas, Henri Lhote leur demande de tracer les contours au fusain directement sur la paroi, quitte à tout nettoyer ensuite à l’éponge. Tout espoir de pouvoir dater ces fresques préhistoriques au carbone 14 se trouve par conséquent perdu. Cette méthode a été appliquée sur des milliers d’images.

ILS VOIENT DES DAMES BLANCHES PARTOUT !

En 1957, une exposition de ces calques peints intitulée : « Peintures préhistoriques au Sahara » présentée au Musée des Arts Décoratifs à Paris remporte un vif succès.
Parmi les œuvres présentées il y a une « Dame Blanche d’Aouanghet » découverte par Henri Lhote. Elle rappelle bien sûr la fameuse « Dame Blanche du Brandberg » découverte par l’abbé Breuil en Afrique du Sud. Il faut lire à ce sujet l’article passionnant de Jean-Loïc Le Quellec sur son site internet rupestre.on-rev.com où la Dame Blanche se révèle être, à y regarder de plus près, un homme noir... L’abbé Breuil, lui, voit dans cette Dame Blanche une reine égyptienne de la plus Haute Antiquité arrivée en Afrique du Sud à l’issue de ce qu’il appelle la « migration nilotique » qui lui aurait fait traverser depuis le Nil, toute l’Afrique en passant par le Tassili. Il explique ainsi, l'air de rien, la qualité et la finesse de l’art rupestre sud africain , qu’il ne saurait en aucun cas attribuer aux seuls Boshimans.
C’est là que Jean-Loïc Le Quellec établit le lien avec Antinéa, la Reine de l’Atlantide du roman de Pierre Benoit.

LE MYTHE DE LA REINE BLANCHE AU FIN FOND DE L’AFRIQUE NOIRE

Ce type de récit s’inscrit dans la tradition des « lost race tales », les contes de races perdues, dont le schéma est toujours le même : un explorateur, un peu archéologue, part à l’aventure dans une forêt vierge ou dans le désert. Là, il découvre une race perdue, un peuple très ancien, toujours vivant et extrêmement évolué. Une civilisation blanche au milieu d’une foule de sauvages noirs, en général.
Comme s’il était impossible à l’homme blanc d’imaginer qu’une peuplade noire au fin fond de l’Afrique ait pu faire l’économie du passage des Blancs pour évoluer et apprendre, notamment, à dessiner. Si l’on va plus loin, en pleine période de décolonisation ô combien douloureuse, on peut imaginer qu’inconsciemment affleure dans l’esprit du peuple colonialiste l’argument suivant :
si l’Afrique avait été blanche avant d’être noire, la colonisation n’aurait été au fond qu’un juste retour des choses.
Selon Jean-Loïc Le Quellec, le fait de vouloir à tout prix voir une Dame Blanche au Brandberg puis le fait d’en découvrir une autre au Tassili traduit l’hommage de bon aloi d’Henri Lhote à Henri Breuil. En clair, le disciple fournit la preuve nécessaire à la théorie du maître, corroborant l’hypothèse de la migration nilotique et déniant l’étendue du talent pictural propre des Boshimans.
« Oui, elle venait bien d’Egypte, la Dame Blanche du Brandberg, en passant l’Afrique du Nord. La preuve : son empreinte, quasiment son reflet, laissée en chemin dans le désert sur la paroi d’un abri rocheux du Tassili. » Telle pourrait se résumer la pensée du disciple en écho à celle du maître.

Ainsi, vingt-cinq ans après la fascination du pauvre Charles Brenans pour Antinéa, héroïne de cinéma, à la recherche de laquelle il se perdit dans le désert, seul et incompris, c’est un autre qui découvrit cette reine blanche au Tassili et l’amena sur un plateau à l’abbé Breuil qui sans le savoir était lui aussi victime du mythe de l'Atlantide dans son approche de l’art rupestre des Boshimans du fin fond de l’Afrique Australe.

Pour faire connaissance avec cet art, pour de bon, il existe une solution : le site internet de Jean-Loïc Le Quellec qui regorge d’images et d’informations : rupestre.on-rev.com

Et c’est bien réconfortant de prendre connaissance des travaux de ce chercheur remarquable, après cet improbable voyage dans les phantasmes et les préjugés raciaux, pas si différents aujourd'hui de ce qu'ils étaient au siècle dernier en Occident.

Sophie Cattoire



* Né en 1951, Jean-Loïc Le Quellec est diplômé de l'Ecole pratique des hautes études (paléoécologie du quaternaire) et docteur en anthropologie, ethnologie et préhistoire. Chercheur rattaché au CNRS, il a réalisé de nombreux ouvrages sur l'art rupestre du Sahara, en particulier de la Libye. Fondateur de Traces, cabinet d'ethnologie-préhistoire, il effectue des missions d'expertises pour le compte de l'UNESCO ou de divers organismes. Il préside l'association des Amis de l'art rupestre saharien.

** Stéatopygie : présence d’un matelas adipeux épais dans la région du sacrum et des fesses, fréquente chez les Boshimans et les Hottentots.

Nous tenons à remercier Jean-Loïc Le Quellec, ethnologue, anthropologue et préhistorien, pour les documents qu’il nous permet de publier ici. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la préhistoire et l’art rupestre au Sahara accessibles sur son site rupestre.on-rev.com

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