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Discours de Jean-Claude Dugros


Charmante reine,
Monsieur le Capoulier,
Chers confrères,
Amis félibres,
Chers amis,
Chers confrères,

C’est avec une profonde reconnaissance que j’ai accepté l’honneur que vous me faites en me nommant majoral du Félibrige.

Je tiens à vous adresser à tous mes plus francs remerciements pour avoir porter votre choix sur mon nom, après tant d’illustres personnalités du Périgord et d’ailleurs à qui je pense en ce moment : Chabaneau, Chastanet, Benoit, Lavaud, Fournier, Miremont, Monestier... et tant d’autres. J’aurai aussi une pensée pour mon prédécesseur Louis Déjean.

Me voici donc dans la grande famille du Consistoire du Félibrige. Une grande famille dans laquelle les parents de près et de loin se trouvent dans toutes les régions de l’Occitanie : Auvergne, Gascogne, Languedoc, Limousin, Provence. Je ne serai pas dépaysé. Avec Danielle, nous avons des racines gasconnes, languedociennes, périgourdines, et peut-être d’ailleurs, qui sait ?

Je tiens également à vous dire que pour moi, cette cérémonie ne représente pas un simple rituel, mas bien un événement et j’en mesure pleinement la richesse symbolique. Les signes et les insignes qui y sont associés sont en effet chargés de sens. Et je suis bien conscient que le titre de majoral n’est pas une récompense, n’est pas une médaille et que tout va commencer aujourd’hui.

Vous m’avez distingué dans la discipline des langues. Depuis l’origine de la langue occitane, enseignement e universalité vont ensemble et les savoirs ont pour vocation d’éclairer le monde.

Chers amis,

Notre langue est en situation de danger. De réanimation en soins intensifs, elle n’en finit pas de crever. A cela, plusieurs raisons, mais j’en vois deux principales :

Une perte de conscience linguistique des locuteurs et un « anti-occitanisme » qui sera aidé par une politique jacobine dès la révolution, puis colonialiste, qui se manifeste par une politique linguistique impérialiste.

Encore aujourd’hui certains Occitans emploient le mot de « patois » ou de « langue régionale ».

Non, la culture occitane n’est pas une culture minoritaire, ce n’est pas une culture régionale. « L’idiome méridional », la langue du Midi, c’est la dénomination d’une idéologie succursaliste française qui d’autre part se fera porteuse de la graphie française appliquée à la langue occitane e restera attachée idéologiquement a celle de « Midi » pour désigner le Pays d’Oc.

Voici ce qu’écrivait Michel Chadeuil il y a quelques temps : « Considérant ce que l’on entend généralement par ce mot, je refuserai avec la plus grande énergie l’étiquette d’écrivain régionaliste. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une région ? La région n’existe qu’en fonction d’un centre mythique par rapport auquel il faudrait se définir. Je refuse l’idée de « région » car je refuse de voir la réalité qui m’entoure au travers de la référence fournie par une prétendue capitale intellectuelle qui, étant arbitraire et artificielle, ne peut fournir que des références arbitraires et artificielles.

Je ne suis pas un écrivain régionaliste car je ne me définis pas par rapport à Paris. Je ne suis pas l’écrivain d’une sous-préfecture. Je ne suis pas l’écrivain d’une région. Je suis un écrivain d’ici, un écrivain de ce « pays » - et j’emploie le mot « pays » dans son sens occitan. Je n’oublie pas que l’habitant du pays est le « paysan » et je n’oublie pas non plus que « païen » est un doublet de « paysan ». Je ne suis pas un écrivain régionaliste, je suis un écrivain païen.

Et en quelle langue tout cela pourra-t-il se dire ? Il y faut la vraie langue du pays, celle qui a été le plus longtemps l’instrument et le support de cette culture dont on s’est imprégné. Pour moi, occitan, cette langue ne peut être que l’occitan.

Mes rapports avec mon pays sont des rapports sensuels, irrationnels, érotiques... J’ai besoin d’une langue avec laquelle j’aurai des rapports sensuels, irrationnels et érotiques, une langue de liberté. J’ai besoin de mots capables de dire ce que j’ai à dire, de noms capables de désigner le moindre objet de mon environnement, des verbes capables de rendre la moindre nuance de mes gestes, des dérivés capables de donner au nom les diverses impressions que je ressens face à l’objet... Il me faut des mots concrets et qui cependant animeront la matière, je veux dire des mots chargés de tout l’animisme primitif du « pays ».

Le « patois » n’a pas de grammaire, il ne peut pas tout dire – donc ce n’est pas une langue de culture – et c’est un parler bâtard, un mélange d’autres parlers, italien, castillan ou dégénéré du français. Le « patois » est donc un parler soumis linguistiquement, politiquement, culturellement, socialement et économiquement. Il reste un parler qui n’a pas de niveau de langue. Il est en marge.

Le concept de « patois » apparaît dans un processus historique de destruction d’une forme linguistique. Il commence par la substitution volontaire, au niveau de l’écrit administratif et littéraire, de la langue du roi de France à l’occitan. Puis viendra la dépréciation sociale, le mépris qu’engendrent la honte et la perte d’identité culturelle et sociale. Donc l’idéologie de l’unité nationale – de l’état dominateur – répand une culture nouvelle où les langues minoritaires passent au concept de « patois ».

Cette dénomination de « patois » très utilisée par le ministère de l’Instruction publique, fait part de l’idéologie de destruction des langues. Les pratiques linguistiques contre les patois – transversales à l’école de la République et à l’Église catholique – ont pour but d’assurer la langue de l’autorité, une langue unique pour une conception unique du monde. Les patois sont donc considérés comme subversifs et doivent disparaître puisqu’ils sont des « patois ». Ces conceptions se retrouvent encore aujourd’hui dans les discours de Bertrand Poirot-Delpech et de Hélène Carrère d’Encausse (Voir le journal Le Monde du 25-12-02).

Pour les linguistes, les patois doivent mourir ; pour des raisons mécaniques, naturelles, pratiques d’extension sans jamais considérer que la situation est le fruit d’une hégémonie politique et sociale. Cependant, le changement de « l’état de patois » est possible et le passage à « l’état de langue » par un processus de récupération volontaire de la langue.

Voici ce que dit André Martinet :

« Une situation patoisante peut également être éliminée du jour où le parler local, ou une forme très voisine, acquiert, aux yeux de ceux qui le pratiquent, un prestige suffisant pour renverser le courant qui tend à le priver de son autonomie au profit du parler général : un parler flamand de la France du Nord reste un patois tant qu’il ne se maintient que du fait de l’inertie de ceux qui le parlent ; il devient une variété de la langue néerlandaise chez ceux qui le veulent consciemment comme tel. »

Donc, ne parlons plus de patois mais d’occitan, de langue d’oc. N’ayons pas peur de dire « langue d’oc » ou « occitan ». Ces mots ne sont pas des insultes.

Et dans tout cela nous sommes bien dans l’esprit du Félibrige, l’esprit initié par Frédéric Mistral. Par delà Mistral le visionnaire, l’humaniste, le fédérateur, quel est le sens de notre combat, quelles sont les valeurs qu’il nous faut défendre ? Plus qu’une valeur, c’est tout un socle de valeurs intangibles qui nous tient tous liés : notre façon d’être, notre façon de vivre, c’est notre écologie, sans frontières, sans limites artificielles sinon administratives, imposées. Cette tâche ne consiste pas en un repli, un retour en arrière, c’est une ouverture. Nous ne voulons pas être les victimes de la mondialisation, mais au contraire, les grands bénéficiaires. La mondialisation, nous la voulons culture ouverte et universaliste, marquée par le respect de la civilisation de l’autre.

La France se veut le porte-parole en Europe et dans le monde des droits de l’homme et de la diversité linguistique et culturelle. Fort bien ! Cependant, sur son propre territoire, la situation légale est catastrophique pour tous ceux qui veulent travailler en faveur de la diversité linguistique. La transmission de l’occitan est menacée par l’absence d’une politique positive pour son développement. Aujourd’hui, si la France posait sa candidature à l’Union Européenne, elle verrait son adhésion refusée, faute de la ratification de ces textes, exigée des nouveaux candidats.

Nous travaillons pour la langue occitane. Nous voulons créer les conditions de son développement. Nous travaillons pour le rétablissement de l’occitan. Nous travaillons aussi pour tous ceux qui vivent en Occitanie et qui ont le droit de connaître la culture occitane. Nous travaillons pour que la langue occitane puisse vivre comme une des langues offertes à l’humanité.

Pour cela, sur le territoire où on parle la langue occitane, il faut créer un environnement favorable à l’enseignement de la langue et dans la langue. Il faut que le contexte légal soit favorable à la création en occitan, à la présence de la langue dans les médias audio-visuels et écrits, à l’emploi de la langue dans la vie publique et bien sûr au rétablissement de la transmission familiale.

On a voulu éradiquer les cultures régionales, les effacer, les étrangler comme Simon de Montfort le fit au pauvre vicomte Trencavel dans son château, comme l’Inquisition enferma nos ancêtres cathares au Mur, mais aujourd’hui nous pouvons dire que la culture occitane vit, avance. Une culture vivante est une culture qui crée. Tous les ans, nous essayons de présenter une félibrée nouvelle mais toujours respectueuse de nos traditions. L’objectif, c’est la transmission et le développement de la langue, pas la création de musées.

Écrire, faire de la publicité pour la langue, l’enseigner, la faire connaître, la sociabiliser, voici notre tâche.

Albert Camus disait à peu près : « il faut être fou pour s’intéresser à la condition humaine, mais ne pas s’y intéresser serait une lâcheté. Hé bien nous aussi, nous sommes peut-être fous de nous occuper de la culture occitane, mais nous serions lâches si nous ne nous en occupions pas.

Non ils ne le tueront pas, l’aubre vielh (le vieil arbre) de Marcelle Delpastre :

L’aubre vielh, que diriatz que jamai lai tornarà montar la saba, talament la ruscha es crebada, la raiç curada de vermes que tomba en pouvera per lo mitan. Jamai vengut l’estiu, n’aviá balhat tant de fuelhas, ni de flors tan perfumadas. e nos en sovendrem de sa frucha mai de son ombra. Per lo tuar, ‘queu país, tant que parla sa lenga en flors de l’aubre vielh, non n’es pas naissut lo chaçador.

(Le vieil arbre, dont vous diriez que plus jamais la sève lui remontera à nouveau, tellement l’écorce est crevassée, la racine rongée par les vers, qu’il tombe en poussière au milieu. Jamais, l’été venu, il n’avait mis tant de feuilles, ni de fleurs aussi parfumées. et nous nous en souviendrons de ses fruits e de son ombre. Pour le tuer, ce pays, tant qu’il parle sa langue en fleurs du vieil arbre, le chasseur n’est pas encore né.)

Delpastre, Boudou, Rouquette, Manciet. Oui, les mots de nos grands parents – que les gens appelaient patois – peuvent servir à écrire de la littérature. Et quelle littérature ! Auteurs occitans ? Mais non ! Auteurs universels qui écrivent en occitan.

Le Félibrige es surtout une philosophie ; il nous engage, non seulement à défendre et à maintenir notre langue vernaculaire et la culture qui en résulte, signes visibles de notre personnalité, mais aussi à affirmer notre droit à la différence en nous engageant, avec confiance, vers un avenir capable de prendre en compte notre propre identité. Nous allons donc nous mettre au travail tout de suite.

Et comment ne pas voir un symbole dans cette cérémonie qui se déroule ici à Neuvic. Neuvic, un endroit de référence. De nombreux événements liés au Félibrige et à la langue occitane se sont déroulés dans cette ville. Deux félibrées, donc deux reines, une reine du Félibrige, un secrétaire général du Bournat, un maître en gai savoir, un majoral e un nombre incalculable de félibres. E depuis plus de trente ans, un groupe traditionnel de qualité, Los Leberons de la Dobla. Je vous le dis : Neuvic est un endroit de référence pour notre culture.

C’est également pour cela que j’ai demandé aux personnes qui le voulaient bien de porter le costume traditionnel ; ce soir la langue, la littérature sont à l’honneur, mais je voudrais y associer le travail de tous les groupes traditionnels du Bournat qui, eux aussi, font un travail admirable pour la sauvegarde de notre culture.

Maintenant, je vais me tourner vers un homme à qui je dois tout. Il est là avec nous. Cette cigale est un peu la sienne. Cet homme m’a appris l’humilité, la rigueur, la patience, l’amour du travail bien fait, le respect de l’autre... quand il le mérite ! Reconnaître le bon travail, surtout le dire quand il n’est pas bon. Détester les thuriféraires, les encenseurs. Pour tout cela, et bien d’autres choses encore, un grand merci, Bernard Lesfargues.

Monsieur le capoulier, monsieur le président du Bornat dau Perigòrd, vous pouvez compter sur mon engagement, sur ma fidélité et sur mon dévouement pour le Félibrige e le Bournat.

Et comme aimait à le dire notre regretté Jean-Claude Pouyadou, lui aussi de la région de Neuvic : Perigòrd, ten-te fièr ! (Périgord, tiens-toi fier !)

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